Chronique

Gilad Hekselman

Homes

Gilad Hekselman (g), Marcus Gilmore (dm), Joe Martin (b) + Jeff Ballard (dm)

Label / Distribution : Jazz Village

A 32 ans, il a parcouru le monde au point se sentir partout chez lui. Alors il s’invite chez nous. Avec Homes, album de saison et de circonstance qui contient douze portraits au fusain d’autant de villes, lieux réels et imaginés que l’on écoutera au coin du feu, lové contre celui ou celle qui nous plait le mieux. Le titre éponyme suivi de « Verona » semblent faits pour ça. Mais ne jugeons pas trop vite le style de ce guitariste israélien installé à New York depuis 2004, puisque que celui-ci va de reprises de ballades classiques au be-bop en passant par des reprises pop de haut vol comme celle d’un titre du Alan Parsons Project.

La douceur de Gilad Hekselman cache mal sa rigueur. Ses influences avouées sont les pianistes américains Bill Evans, Ahmad Jamal et Brad Mehldau, sainte trinité gouvernant l’esthétique de son jeu sur six cordes. Ce jeu, la plupart du temps soyeux, peut aussi se faire sec, et l’on devine alors qu’il a regardé du côté des percussions et musiques orientales. Pas surprenant, dans ces cas-là, d’entendre le musicien évoquer le percussionniste Zakir Hussain ou Matti Caspi, guitariste israélien de 35 ans son aîné. Bien sûr, d’autres grands de la guitare jazz l’ont marqué. On pense par exemple à Jim Hall et Pat Metheny, d’autant que ce Homes contient une reprise de « Last Train Home ».

Pour ce qui est de la pâte sonore, l’homme est aussi langoureux qu’une autre guitariste new-yorkaise de la même génération mais au parcours différent (Mary Halvorson) est sinueuse. Tous deux partagent en revanche cette rigueur et cette allure d’éternel étudiant qui les rendent attachants.

On retrouve sur Homes, le batteur Marcus Gilmore avec qui Hekselman crée depuis déjà dix ans un répertoire et une complémentarité touchante. Ces deux doux garnements-là passent leur temps à se rabattre le caquet avec un vocabulaire des plus distingués… C’en est presque trop. Joe Martin à la contrebasse, vu chez Brad Mehldau, après avoir défendu sa place près de Mingus, ferme ce trio habitué et solide.

Or, les habitudes, en musique, il faut savoir les casser. Le titre « Keedee », l’un des meilleurs de l’album, bénéficie de la frénésie de Jeff Ballard aux percussions, qui ajoute aux trois voix une densité vraiment captivante. Après ce passage par l’Afrique en groupe, sans transition, Hekselman s’offre un solo en mi mineur (« Home E-minor »). Sa maison est là où ses accords le mènent. Il n’oublie pas de célébrer sa ville de rattachement « discographique », avec la trépidante « Parisian Thouroughfare » de Bud Powell. C’est effectivement à Paris, sur le label français Jazz village / Harmonia Mundi, qu’il a élu domicile depuis son précédent et sublime This Just In paru en 2013.

Avec vélocité, Gilad nous berce, Gilad nous enveloppe, Gilad nous borde, quitte à parfois en faire trop ! Oui, trop d’effet tuant l’effet, « Cosmic Patience », morceau de onze minutes, paraîtra un tantinet daté ou sirupeux. Pour une prise de distance et d’espace, on lui préférera « Space », interlude de 30 secondes régénératrices. Et suffisantes. Surveillons les excès.

Mais au final, un bain de tendresse pour clore douillettement une année au climat régulièrement chaotique et orageux, qui oserait s’en passer ? Faites-vous confiance. D’autant qu’à force d’observer Hekselman comme une excellente jeune pousse de la scène new yorkaise, on a omis de voir qu’en dix ans il a eu le temps de se déployer et de tutoyer les sommets.