Chronique

Jean-Marc Montera

Derek Bailey

Label / Distribution : Lenka Lente

Guitariste lui-même, fondateur du GRIM à Marseille dont il s’occupe toujours et aventurier des musiques des marges évoluant dans le bruitisme le plus libre, Jean-Marc Montera rend hommage à travers cette nouvelle référence de la maison d’édition Lenka Lente au guitariste Derek Bailey.

Posant les bases de ce qui pourrait être une analyse plus générale du style de l’Anglais et plus largement des musiques improvisées qu’il appelle de ses vœux, Montera dresse un portrait rapide et exhaustif du parcours de ce musicien hors du commun, de ses débuts comme accompagnateur des musiques populaires de divertissement (type bal ou studio) à ses rencontres avec d’autres frondeurs comme Evan Parker ou Han Bennink auprès desquels il développera et affirmera un style aussi atypique que parfaitement déroutant.

Car au sein de cette communauté qui prit son essor durant les années 60 en Angleterre et dans le Nord de l’Europe (aussi un peu en France), Bailey est certainement le plus radicalement poète voire le plus poétiquement radical. Dépassant toute technicité tout en étant un grand connaisseur de l’histoire de son instrument et de la musique en général, il invente un jeu qui donne l’impression de ne pas en être un ; sa virtuosité ascétique le place hors des références possibles. Avançant d’ailleurs à ce moment de l’Histoire où les terres nouvelles sont à conquérir, il défriche inlassablement sans aucun souci du qu’en dira-t-on.

La discographie sélective - mais parfaitement représentative - que propose l’auteur dans un second temps, montre le travail de croisements, de rencontres, de tentatives permanentes que Bailey a pratiqué durant sa vie. Avec Anthony Braxton bien sûr pour un duo au sommet entre deux des grands pionniers de ces années-là, Cecil Taylor également, Steve Lacy mais également le duo post-rock Ruins, ou plus surprenant encore avec Will Gaines… danseur de claquettes.

Là où il se trouve, Derek Bailey développe une approche de l’improvisation comme un geste absolu de mise en pratique d’une philosophie du dialogue. En envisageant l’autre comme une frontière infranchissable vers qui aller sans jamais être sûr de le trouver, il développe aussi une manière de se trouver soi. Non comme moyen de se définir par opposition, mais plutôt en découvrant en soi un abîme sans fond qu’on se doit de circonscrire pour ensuite le creuser sans cesse.

Un des mérites de ce petit livre est indéniablement de donner envie de se replonger dans l’écoute de cette œuvre discographique et continuer à s’en nourrir. Par son étrangeté même, elle conserve sa pertinence.