Scènes

Lama, Poulet, Mustang et autres bêtes

Coronado / Poulet en Pays Nantais, muscadet et virée rurale.


Et si, devant l’écrasante domination de quelques musiques outrancièrement commercialisées - musiques qui ne sont pas toujours mauvaises en soi mais inscrites dans une logique dans laquelle la valeur artistique n’est qu’une des données variables de la valeur économique - , si devant cette écrasante présence qui étouffe le peu de places laissées à des propositions alternatives, la seule solution était un LAMA ?

Que vient faire, direz-vous, ce sympathique camélidé dont on sait qu’il crache à la figure de celui qui le fâche, dans un journal consacré au jazz et à ses nombreuses déclinaisons ? Outre sa figure bonhomme qui induit une humeur joyeuse bienvenue en ces temps obscurs, rien de particulier. Il est pourtant, également, l’acronyme de l’association : Les Autres Musiques d’Aujourd’hui, implantée dans le sud-est de Nantes, en plein vignoble.
Dès lors, tout devient plus clair.

L’association LAMA est la conjonction de plusieurs problématiques à résoudre. L’envie de donner une dynamique à des musicien.ne.s situé.e.s hors des circuits des grandes structures de spectacle ; l’envie, de ce fait, de donner à entendre des musiques peu entendues sur les grands canaux de diffusion (télé, radio, internet mainstream) et qui sont, tout aussi légitimement, l’expression d’une société, l’envie de dynamiser des territoires, ici ruraux (mais le LAMA trouve aussi ses aises en ville), en fédérant les énergies de quelques bénévoles et en mobilisant un public prêt à des expériences inattendues.

Car l’animal est malin, il donne rendez-vous mais ne dit pas de quoi le moment sera fait. De quoi éveiller la curiosité. Le fonctionnement est simple : réservé aux membres de l’association, quatre fois dans l’année, un rendez-vous est fixé dans un lieu chaque fois différent et de préférence atypique. Souvent, puisque la région en est généreusement pourvue, chez un vigneron qui, le temps d’une après-midi, prête une salle de sa cave et en profite pour faire déguster le fruit de son travail. Comme les gens finissent par se connaître, l’attente avant-concert est conviviale, familiale même. Question lien social, c’est gagné. Puis on s’installe et le concert commence. Musiques (mais aussi danse) : depuis quatre ou cinq ans, on a pu assister à une prestation solo de David Chevallier, le duo électro et jazz Ork, le trio OHM, Nathalie Darche ou Kamylia Jubran et Werner Hasler, l’Orphicube d’Alban Darche. Bref, c’est la campagne, mais ce n’est pas au rabais (contrairement à ce que s’imaginent les ploucs urbains).

Ce dimanche après-midi de mars, ensoleillé mais frisquet, dans la salle de la cave Saint-Vincent, une grande toile blanche est tendue à côté d’un ampli et d’une guitare électrique. Sur une table basse, un ordinateur et un micro. Devant la table, une chaise.

Gilles Coronado, photo Christophe Charpenel

Gilles Coronado et Fred Poulet viennent présenter leur nouveau disque récemment sorti chez Ayler Records. La salle est dans le noir et seule la lumière du film projeté à l’écran crée une ambiance particulière. Dans la pénombre, Coronado attaque à la guitare, creusant des riffs étranges, aléatoires semble-t-il, et qui mettent sur la route de cette aventure qui va se dérouler sous nos yeux dans un ciné-concert qui peut également être un concert-ciné.

L’histoire, en effet, a été conçue à deux, comme nous l’avait expliqué le guitariste. Il y a quelques années, au cœur du Morvan, lui et Fred Poulet écrivent ce road-movie d’un gars qui quitte la ville pour se perdre dans la campagne. Le film a été tourné ensuite. Ce pourrait, d’ailleurs, être pas loin d’ici. Et ce que nous voyons à l’écran, ce film à gros grain et aux couleurs chaudes évoque ce que nous voyons aux alentours. Effet de mise en abîme bienvenu qui contribue à l’immersion. D’autant plus que Fred Poulet, qui incarne le paumé silencieux, porte un imper façon Delon dans Le Samouraï, à l’écran comme à la scène. C’est troublant. Le voilà qui ânonne son histoire, relayé par les chœurs de Coronado. On les regarde prendre place et, si l’image est au départ le support de leur prestation live, bien vite on les oublie et on se plonge dans ce qu’on voit ; le duo devient une des composantes d’un cinéma total.

La guitare se fait de plus en plus électrique, bondissant comme des balles incontrôlables, et la voix du chanteur prend de l’assurance. Ses mots claquent, font sens, et mouche. On s’émerveille devant la composition « Le Casino » qui est un des moments forts. A l’écran, l’alors jeune Izia Higelin (le tournage remonte à quelque temps), attire la lumière et les regards de cette histoire à la Melody Nelson avec son lot d’errance, de séduction et d’échec. Et quand en guise de rappel, les deux artistes interprètent une version dépouillée et impeccable de Ford Mustang du même Gainsbourg, on ne peut qu’applaudir. A la sortie, nous attend un fameux muscadet. Décidément, la campagne, ça vous gagne.