Scènes

Le festival TanJazz (Tanger) a soufflé ses 14 bougies

Lorsqu’on veut s’offrir mi-septembre une semaine de détente au son du jazz et profiter du soleil sur la mer, la boussole indique résolument la ville mythique de Tanger, « entre deux continents », où Delacroix a peint et où ont séjourné Paul Bowles et Jean Genet. Du 18 au 22, le jazz et ses déclinaisons étaient dans les murs, et l’hôte le palais des Institutions italiennes, plus connu sous le nom de palais Moulay Hafid.


Pour cette 14è édition de TanJazz, festival à la programmation consensuelle Philippe Lorin, son créateur (publicitaire français en retraite active), a décreté « TanJazz passe à l’Est » : Autriche (avec le David Helbock trio), Bulgarie (Sofia Fusion quartet), République tchèque (très alerte concert de l’orchestre du crooner et saxophoniste Petr Kroutil)…

Première séduction, à côté de laquelle on ne peut passer, celle d’un magnifique lieu à l’architecture arabo-andalouse, construit au début des années 1910 par le sultan Moulay Hafid. Un corps central, deux grandes ailes sur deux étages avec quatre salons décorés de colonnes en marbre de Carrare, des plafonds ciselés, et un jardin intérieur entouré de larges arcades (où des restaurants branchés de la ville sont installés pour l’événement) au milieu duquel trône une séduisante fontaine. D’un côté le TanJazz club et de l’autre le “lounge”, dotés chacun d’un bar où les prix n’ont rien à envier à ceux de la jet-set.

Dedans comme dehors il y a foule. Les jeunes filles en grappes croisent de fringuants quadras et quinquas parfumés, cigare à la bouche et portable à la main. C’est toute la bonne société tangeroise qui est là, mais pas seulement. On vient aussi de Rabat ou de Casablanca. Ces deux étudiants par exemple, vrais aficionados du jazz, auditeurs de podcasts sur le web, ce couple de quadras dont le jeune fils fait du piano, ou encore ces septuagénaires qui logent dans un des hôtels les plus chics de la ville et apprécient « la bonne tenue du public et la convivialité de l’événement ».

Au “lounge”, le sextet du saxophoniste Samy Thiebault. Avec son groupe, c’est un peu un retour aux sources. Il s’est adjoint une super rythmique pour présenter le répertoire de son dernier CD, Clear Fire. Le public finit par répondre à l’énergie dégagée et se laisser prendre par la voix si particulière du chanteur et percussionniste Meta. Avec “Dionisia”, l’orchestre fait définitivement tomber les barrières. La pianiste, chanteuse et tromboniste Noam Vazana (déjà présente l’année dernière) se prépare dans les loges à prendre la relève. Plus loin, en suivant la flèche « Bistro des artistes » on débouche sur un nouveau grand espace à ciel ouvert (ce soir la pleine lune fait partie de la fête). Le buffet où musiciens et équipes du festival (bénévoles ou pas) se restaurent a plié bagage. C’est la première année que des concerts ont lieu dans cet espace où un quartet finit de s’installer : The Klezmaniacs passent allègrement du yiddish au ladino et le public en redemande. Ce sera ensuite Ben Prestage, bluesman américain multi-instrumentiste (guitare, batterie apprise dans les rues de Memphis, harmonica, banjo, violon, chant), lui aussi familier des festivaliers.

Dans le palais, on compte en tout pas moins de cinq scènes ; mais au pied de la ville, au bord de la mer, deux autres, gratuites celles-là, s’animent dès 19h. Public populaire jeune, en grande majorité masculin. Dimanche soir, l’orchestre Gnawa Express mené par le Maalem (maître) Abdelmajid Domnati et son guembri crée dans le public des cercles de danseurs inépuisables.

Intriguée par la formation du clarinettiste Arun Ghosh, Indonésien installé en Grande-Bretagne, je prends la direction de la scène « Renault Palais ». Toujours cette belle architecture entourant une grande cour rectangulaire (première « salle » du début du festival) avec un sol couvert de tapis. On s’y sent comme dans une salle de concert, avec un public recueilli et retenu. Philippe Lorin livre une brève histoire de la clarinette avant de présenter l’orchestre : vents, contrebasse et batterie. Pas de tablas mais des mélopées généreuses d’« indo-jazz » énergiques et enveloppantes.

Petite incursion au lounge où se produit l’orchestre tchèque. Heureusement il met tellement la « gomme » qu’il couvre le bruit des gens qui déambulent dehors et qu’on entend par les fenêtres ouvertes. Pendant qu’Elisabeth Kontomanou, dans une formation très familiale, termine son concert en faisant chanter le public, le Magic Tarbouch se prépare au club. C’est LE jeune orchestre de jazz tangérois, découvert l’année dernière. Son inspiration ? Un « surf jazz » (dont les Ventures, dans les années 60, ont été le fer de lance) qui se mêle au répertoire de Parker, Monk, Miles etc. Deux guitaristes, Ismaël Moussali et sa Stratocaster rendant visiblement hommage à Jimi Hendrix, et le leader, Tarik Elamile, Gibson noire en main, une basse (Yassine Elhalloubi), une batterie (Ayoub Ibn Majdoub Hassani) et un trompettiste (Cédric Abu Shahla). Sur leur tête, le fameux tarbouch. Une heure trop vite passée, qui permet trop peu d’échanges et d’improvisations ; elle sont pourtant intéressantes - notamment celles d’Ismaël Moussali.

Mon rapide tour d’horizon s’achève dimanche après-midi avec le TanJazz des enfants. Pour chacun un sac contenant un cahier, un livre, une casquette et un lumineux t-shirt à l’effigie de … la Vache qui rit (qui a une de ses usines à Tanger). Sur scène, le trio Roger Cactus, familier de ce public, invite les enfants à rentrer dans le Bazarazik. Ils ne s’en privent pas et le guitariste Roger Prader a dû canaliser avec une certaine autorité les énergies débordantes. Peut être, l’année prochaine, formeront-ils un groupe !