Chronique

Lou Tavano

Uncertain Weather

Lou Tavano (voc), Alexey Asantcheeff (p, voc), Guillaume Latil (cello), Alexandre Perrot (b), Ariel Tessier (dm)

Label / Distribution : Abalone / L’Autre Distribution

Troisième album pour cette chanteuse trop souvent perçue comme une « poupée de porcelaine ». Ici, Lou Tavano s’affirme comme une maîtresse femme. Est-ce parce qu’elle revendique la possibilité d’une séparation avec son compère pianiste comme elle le laisse à entendre sur « As We Part » ? En tout cas, la complicité avec l’instrumentiste est plus que jamais de mise sur ce disque, où le « couple » voix/piano construit un univers envoûtant, entre un art du storytelling que ne dédaignerait pas un Kendrick Lamaar (le rappeur américain le plus pertinent de ces dernières années est une influence revendiquée) et l’élégance classique d’un Chopin (référence suprême du pianiste Alexey Asantcheeff).

De fait, les compositions sont des pièces aux montages angulaires baignées d’une douceur lunaire. De subtils décalages instrumentaux les parsèment, créant mises en abyme et onirisme. Peut-être est-ce dû au fait que l’album a été conçu en Ecosse, terre natale du pianiste : les changements de temps sont légion en ces terres rudes, comme les mouvements d’humeur (« Uncertain Weather »).
La voix se fait trait d’orchestre. Elle est plus diaphane que jamais, au sens propre comme au sens figuré, laissant passer à travers elle les rayons musicaux, développant une atmosphère mystérieuse. Mais la chanteuse est capable de s’élever par-delà l’orchestre en donnant aux musiciens et aux choristes l’envie de tirer le meilleur d’eux-mêmes (« The Dancer »). Ses incursions dans la langue de Molière lui permettent de poser un timbre plus rugueux, parfois proche du flow rappologique (parlé-chanté sur « J’attends »), avec des accents canailles (« Le Fil de la vie » où elle se permet un dialogue renversant avec la contrebasse).

La présence d’un violoncelliste (Guillaume Latil) amène un supplément d’âme sur nombre de titres, non pas tant dans ses résonances « classiques » que dans ses mouvements surprenants, qui peuvent lorgner vers le blues, tant en pizzicato qu’à l’archet. Le batteur, Ariel Tessier, déploie de subtils rolls de caisse claire qui fleurent bon le jazz le plus archaïque, alternant accompagnement du chant et des solistes avec un tempo organique (« Memories of Tomorrow », archéologie d’un possible futur du jazz).
Les combinaisons musicales subtiles de cet album mystérieux, soufflant le chaud et le froid, oscillant entre nostalgie trouble et avenir mélancolique, n’ont pas fini de nous faire rêver.

par Laurent Dussutour // Publié le 4 octobre 2020
P.-S. :

Avec : Eric Perez (voc), Pierre Tereygeol (voc)