Portrait

Mâäk : on n’a pas tous les jours 20 âäns

Portrait du collectif Mâäk autour de la compilation de leur 20 ans.


Photo : Laurent Poiget

Formation franco-belge créée par le trompettiste Laurent Blondiau, Mâäk fête en 2018 ses vingt ans d’existence. A l’occasion de cet anniversaire, une compilation sobrement intitulée 1998-2018 rassemble un panel représentatif du travail fourni et donne à entendre une musique faussement cérébrale, réellement sensuelle et axée sur un noyau fort à l’origine de nombreux projets. Quand Mâäk se démultiplie.

Et si le projet était dès le départ en entier dans son dispositif ? L’organisation de ce double disque ne semble pas répondre à un souci de mise en perspective chronologique ; la diversité des propositions invite moins, en effet, à un alignement de titres illustrant une maturation progressive qu’à une découverte du champ des possibles de l’orchestre. En réalité, Mâäk prend un malin plaisir à apporter de nouvelles facettes à son intention première et met en variation ses composantes fondatrices.

Riche de multiples formes, le groupe conserve à travers ces deux décennies des caractéristiques qui structurent l’entièreté de son propos et le font tenir ensemble. A commencer par la place primordiale que tient dans le déroulement des morceaux un groove discret mais permanent. Parfois camouflée par une approche brisée faite de décalages ou d’accidents, cette pulsation inaltérable génère un flux qui tient lieu de moteur et conduit souvent à une transe feutrée.

Un des charmes de Mâäk vient de là. Prenant place au-dessus de ce sillon rythmique, soigneusement enrobées pour en révéler le scintillement et la saveur acide (plutôt d’ailleurs qu’une frontalité criarde), les dissonances traversent les arrangements et se répartissent sur les différents pupitres de l’orchestre pour en rehausser les contrastes dans une mise en perspective nuancée qui se prête à toutes les envies.

Chantées, par exemple, avec notamment Samanta Seven qui invite le groupe à flirter avec une pop raffinée (on pense à Tricky) cintrée dans des tissus délicats sur lesquels la guitare éthérée de Jean-Yves Evrard fait merveille. Purement instrumentales sur d’autres pièces : “Marche cubiste” déroule un doux tapis pour des soufflants qui s’agglomèrent autour de tonalités en clair-obscur, accrochant l’auditeur qui ne lâche plus la barre. Mâäk a cette capacité appréciable à surprendre y compris sur des pièces où domine un genre extérieur au sien.

Laurent Blondiau, photo Laurent Poiget

Sur une part plus transversale (plus extravertie aussi), la formation se confronte - se mélange plutôt - aux traditions africaines : celles du nord du continent (avec le Gnawa Express de Tanger) ou de l’Afrique Orientale (avec des musiciens du Burkina Faso). Le jazz européen se mêle à l’instrumentation traditionnelle de ces régions et des voix fortement typées scandent des paroles en s’appuyant sur une base obsessionnelle et hypnotique. Là encore, le souci du détail montre le soin porté au croisement des esthétiques et au désir de créer un objet sonore appartenant à toutes les cultures - et, de fait, les débordant de toutes parts.

Cette capacité de mutabilité et d’adaptation au-delà des frontières lui permet également de se plonger avec réussite dans des tendances plus actuelles comme c’est le cas enfin avec le travail mené autour de l’électronique et la formation Mâäk Electro où le Fender Rhodes de Giovanni Di Domenico apporte ce qu’il faut d’éléments grinçants et métalliques pour donner une nouvelle dynamique à l’ensemble.

On l’aura compris, Mâäk aime à s’organiser autour de configurations variées. Sa discographie compte une dizaine de références et autant de couleurs qui s’étendent en formation serrée (Mâäk Quintet, MikMâäk pour seize musiciens, Mâäk Kojo, etc.). Pour autant, aucune architecture digne de ce nom ne s’édifie spontanément sans un socle humain.

La paire Laurent Blondiau / Jeroen Van Herzeele fonctionne à merveille dans nombre de contextes. Le premier, leader naturel, est capable de se fondre avec intelligence dans nombre de genres. Un coup d’œil à sa discographie le prouve : Alban Darche, Octurn, Thôt Agrandi, Aka Moon mais aussi Zita Swoon ou William Sheller - l’éclectisme est de rigueur, avec une appétence particulière pour les musiques cérébrales et celles venues d’Afrique.

De son côté, Jeroen Van Herzeel est incontestablement le versant lunaire de cette paire de soufflants. Le jeu de son saxophone en ellipse sonde la profondeur et l’intimité du son et participe à la poésie du groupe en apportant une part nocturne à son partenaire trompettiste.

Guillaume Orti et Jeroen Van Herzeele, photo Laurent Poiget

D’autres personnalités sont également consubstantielles de Mâäk. Qu’elles en constituent le premier cercle (comme c’est le cas du Français Guillaume Orti, du tubiste et soubassophoniste Michel Massot ou du batteur Eric Thielemans) ; qu’elles en soient les planètes en orbite qui s’approchent ou s’éloignent selon les moments (João Lobo, Jean-Yves Evrard, Bo Van der Werf, Jozef Dumoulin), voire des astres lointains ayant participé un temps à la course de cette constellation (Sébastien Boisseau a été embarqué durant les années 2004-2008), elles s’intègrent parfaitement dans le projet qui dégage des lignes suffisamment fortes pour que chacun sache y trouver sa place et les faire bouger selon sa personnalité.

L’improvisation tient un rôle important dans le développement de ces compositions pour la plupart ouvertes. Tous rompus à la pratique du lâcher-prise, chaque membre peut infléchir l’ordre du discours ou en varier le grain. La géométrie variable de ce line-up est d’ailleurs le meilleur moyen d’en renouveler sans cesse les potentialités créatrices. Ces dernières pourront s’exprimer à plein cette année 2018 puisque, tout au long de l’année, des moments sont prévus, principalement en Belgique, qui viennent honorer ce parcours rapidement brossé ici et augurent, on ne peut que le souhaiter, d’un avenir encore florissant.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 15 avril 2018
P.-S. :

Mâäk, Lives, autoproduit, 1998,
Mâäk, Le nom du vent, Nefertiti, 2002,
Mâäk, Stroke, autoproduit, 2004,
Mâäk & Gnawa Express de Tanger, Al Majmaâ, Igloo Records,
Mâäk, 5, W.E.R.F. Records, 2006
Mâäk, Stroke, Autoproduit, 2008
Mâäk Quintet, Nine, W.E.R.F. Records, 2012
Mâäk, Buenaventura, W.E.R.F. Records, 2013
MikMâäk, MikMâäk, W.E.R.F. Records, 2015
Mâäk & Ghalia Benali, Mw Soul, W.E.R.F. Records, 2017