Chronique

Mihály Borbély Quartet

Grenadilla

Mihály Borbély (as, cl, bcl, fl, anches), Aron Tálas (p), Balázs Horváth (b),

Label / Distribution : BMC Records

Parmi les musiciens les plus élégants de la vague hongroise dans le jazz européen, le multianchiste Mihály Borbély s’est toujours distingué. Le professeur émérite du conservatoire Lizst, apparu dans nos radars depuis plus de dix ans avec un hommage à Kodály continue de délivrer des albums thématiques, comme une métaphore filée. Souvent, c’est le pays et sa tradition musicale qui est en jeu comme pour Hungarian Jazz Rhapsody, avec sa passion pour toutes les anches qui foisonnent dans l’Europe Centrale et les Balkans. Avec Grenadilla, c’est de bois dont il est question ; de celui dont on fait les flûtes, bien sûr, comme la très pastorale dvojnice monténégrine qui fait son apparition dans le remarquable « Our Beautiful Things » où le batteur Hunor G. Szabò, habitué de l’Open Kollektiva, entretient la flamme ; le bois sait être incandescent, et ce n’est pas la contrebasse du fidèle Balázs Horváth qui prétendra le contraire.

La grenadille, c’est un bois noir et solide qui sert à la confection des clarinettes. Et même si Borbély passe parfois au métallique soprano, c’est bien à la clarinette qu’il est le plus brillant : à la basse notamment, où il excelle - en témoigne l’envoûtant et léger « Huncut Vas » où tout s’agite avec le flegme du vent. C’est d’abord un dialogue avec le batteur, puis le piano de Aron Tálas vient jeter de la main droite quelques épices avant de structurer un morceau plein de mouvement. Plus loin, c’est le tárogatò qui vient apporter une touche capiteuse à « Dense Starry Sky » où ses compagnons bâtissent autour de la flûte à anche double un jazz de forme assez classique qui permet au quartet de raccrocher les mondes. C’est l’un des désirs qui a motivé Grenadilla : faire le lien entre la tradition américaine du jazz, le folklore d’Europe Centrale dont elle s’est nourrie et ce bois d’Afrique, Terre-Mère sans qui rien n’eut été possible.

Cette approche se catalyse dans le très abstrait « Narrow Path », où Borbély dégaine le kaval, au timbre presque chamanique. Le piano se fait étrange, n’hésite pas à fouiller ses entrailles. Mais sur ces prémices oniriques, le quartet fabrique une tournerie qui semble provenir du plus profond du Danube tout en dansant sur une rythmique qu’on pourrait croire mandingue. Cette versatilité très contrôlée est la patte d’un orchestre tout dévoué à la rythmique, à l’instar du nerveux « Kerge Villök » ou piano et contrebasse rivalisent d’inventivité pour encadrer les trilles du tilinkò. Mais le Mihály Borbély Quartet sait aussi s’affranchir des cadres pour convoquer une certaine mélancolie. Ainsi sur le très beau « Cart of Life », qui interpelle la musique écrite occidentale du XXe siècle comme une matière première qui se doit d’être assouplie et malaxée, chaque musicien paie son tribut à la douceur et à des années d’apprentissage classique. Cette volonté d’embrasser une universalité joyeuse et virtuose doit beaucoup à la puissance de Stravinsky, dont le concerto Ébène était peut-être fait de grenadille.