Portrait

Keefe Jackson, le poète transatlantique

Le saxophoniste américain poursuit ses échanges transatlantiques en compagnie du pianiste hollandais Oscar Jan Hoogland.


Keefe Jackson @ Margot Lemaster

Keefe Jackson s’associe à l’un des nouveaux porte-drapeaux du New Dutch Swing pour reprendre le titre de l’ouvrage de Kevin Whitehead consacré à la scène hollandaise, dans le but d’approfondir les liens qui unissent Amsterdam et la ville américaine en pointant dans différentes directions.

Keefe Jackson est originaire de l’Arkansas. Jeune, il profite de la discothèque de ses parents pour découvrir les classiques : Charlie Parker, John Coltrane, Thelonious Monk ou Eric Dolphy. À la bibliothèque locale, il découvre le pianiste Muhal Richard Abrams ou le saxophoniste Marty Ehrlich. Même si les opportunités de jouer existent, la scène musicale dans laquelle il baigne commence à devenir étriquée. «  Je savais que je voulais faire de la musique et que j’avais besoin d’être dans une grande ville pour atteindre mes objectifs, affirme le saxophoniste. Alors, j’ai visité plusieurs villes afin de savoir quel serait l’endroit le plus propice. » En 2001, Jackson jette son dévolu sur Chicago. Le coût de la vie est un facteur, mais il pressent également une plus grande ouverture d’esprit en raison d’un environnement moins compétitif que celui de New York, par exemple. D’ailleurs, quelques mois lui suffisent pour s’intégrer à la scène locale et jouer avec des musiciens dont certains figurent toujours parmi ses collaborateurs. Aujourd’hui, il est devenu un élément incontournable de cette sphère musicale.

Parmi ses nombreux projets, le Urge Trio, avec la violoncelliste Tomeka Reid et le saxophoniste suisse Christoph Erb, et Likely So, un septuor d’anches, sortent du lot. Le premier reposant exclusivement sur l’improvisation pure et le second présentant des compositions originales, il serait légitime de penser que Jackson explore deux voies parallèles. « Je ne compartimente pas les choses de cette manière. Certains le font, mais pas moi, contre-t-il. Ce sont deux véhicules différents dans la poursuite d’un même objectif : ‘Voyons sur quoi cela va déboucher ?’ Dans les deux situations, on observe ce qui se passe sans pour autant être passif. » Les fréquents changements de personnel au sein de Likely So lui ont permis d’affûter son travail d’écriture afin de pouvoir accommoder le plus grand nombre de collaborateurs potentiels.

Likely So à Jazzwerkstatt Bern avec (de gauche à droite) Mars Williams, Wacław Zimpel, Keefe Jackson, Marc Stucki, Dave Rempis, Peter A. Schmid et Thomas K.J. Mejer @ Palma Fiacco

Des musiciens suisses et polonais ont fait partie du groupe qui a enregistré le premier album, A Round Goal (Delmark Records), datant de 2013. En effet, l’Américain n’est pas étranger aux échanges transatlantiques, d’autres exemples notables étant le Luzern Exchange ou The Bridge avec la formation Les Sangliers. La sortie de These Things Happen (Astral Spirits) met en avant sa collaboration avec le pianiste hollandais Oscar Jan Hoogland. Des liens unissent Chicago et Amsterdam depuis plusieurs décennies et ce projet s’inscrit dans un continuum. « Plus jeune, j’étais fan de groupes hollandais tels que l’ICP Orchestra ou Available Jelly, déclare Jackson. Leurs idées et leur son étaient dans ma tête. » Une vieille connaissance, John Dikeman, saxophoniste américain établi aux Pays-Bas, lui sert d’intermédiaire. Membre du collectif Doek à l’instar d’Hoogland, il lui permet de faire des rencontres. Il faut néanmoins attendre que le pianiste passe un été à Chicago pour que les deux musiciens cimentent le projet. Ils se découvrent notamment un intérêt commun pour les musiques de Thelonious Monk et d’Herbie Nichols, artistes qui ont beaucoup compté pour de nombreux jazzmen bataves.

« La musique de Nichols a une modernité qui ne ressemble à rien de ce qui se faisait à l’époque et a conservé une immense fraîcheur », dit Jackson. Quant à Monk, Hoogland estime que « son approche du contrepoint est de loin ce qui a exercé l’influence la plus prégnante sur la musique improvisée hollandaise ». Jouer avec des musiciens américains revêt une profonde signification pour Hoogland. « J’avais besoin de cet apport pour vivre une vraie expérience jazzistique, le jazz n’étant pas ma langue maternelle, affirme le pianiste. En outre, Keefe dégage une formidable poésie qui permet au projet d’être enraciné dans l’âme de cette musique. »

These Things Happen est un enregistrement réalisé en 2016 lors du Festival Doek avec Joshua Abrams à la contrebasse et Mikel Patrick Avery à la batterie. L’album propose des compositions de Monk et de Nichols, bien entendu, mais aussi de Dewey Redman et de Hoogland qui signe également tous les arrangements. Toutefois, le projet est collaboratif, car Jackson suggère des pièces à interpréter et écrit des compositions qui feront sans doute l’objet d’un prochain disque, le but étant d’élargir les possibilités et de continuer d’aller de l’avant.