Scènes

Intl Jazz Platform, l’académie du jazz

Académie pour jeunes musicien.ne.s, festival et rencontres à Łódź, ici et maintenant.


© Mikolaj Zacharow

Pour la jeune génération de musicien.ne.s de jazz et musiques improvisées, il y a un rendez-vous important, chaque année, c’est l’académie internationale organisée à Łódź par Karolina Juzwa et son équipe. Après une sélection drastique, une cinquantaine de jeunes musicien.ne.s plus ou moins professionnel.le.s vont se rencontrer, se mélanger et, accompagné.e.s par cinq artistes reconnu.e.s, monter un court répertoire qui sera présenté sur scène à la fin du séjour.
Mais International Jazz Platform est aussi un festival qui accueille chaque soir le public amateur de jazz de la ville et la région. Et plus encore, c’est le lieu de rencontres et des conférences pour les professionnel.le.s sur jazz, avec cette année la présentation du nouveau dispositif européen Better Live Music.

Maciej Obara quartet © Mikolaj Zacharow

Les soirées publiques, festivalières, ont proposé des concerts assez variés, avec des programmes grand public mais quelques esthétiques plus audacieuses. Le groupe PESH, formé ici même l’année dernière, s’est produit le dimanche soir, ainsi que la pianiste Delphine Deau en solo.
Mary Lattimore a ouvert la série du lundi avec une proposition solo de harpe avant que le quartet du saxophoniste polonais Maciej Obara ne vienne enchanter le public avec son quartet habituel, avec le batteur Gard Nielssen qui colle parfaitement au phrasé du leader. Puis le Norvégien Stian Westerhuis – en charge d’un des cinq groupes de jeunes – présente son trio de headbangers, Pale Horses, avec le batteur Erland Dahlen (également en charge d’un groupe) : une fin de soirée secouée.
Le lendemain soir, c’est le trio Jane in Ether (Magda Mayas - piano, Miako Klein - flûte à bec basse, Biliana Voutchkova - violon). Pure improvisation, baguettes dans le piano, sonorités frottées, comme un grand accord, un drone, qui passerait de main en main, l’interaction est palpable et ancrée. La musique éthérée, justement.

Petter Eldh Quartet © Mikolaj Zacharow

Le quartet de Petter Eldh, qui suit, est composé de son fidèle partenaire Otis Sandsjö au saxophone, du batteur anglais James Maddren et de la jeune flûtiste lettone – membre de l’académie - Ketija Ringa Karahona. Avec cette dernière, le groupe a dû répéter en amont et en quelques heures elle a su intégrer le répertoire, le jouer sur scène et impressionner tout le monde. Un nom à suivre avec certitude ! Le quartet joue plus venteux et plus altier que lors de leurs concerts précédents. Øyvind Larsen, directeur du Oslo Jazz Festival, me souffle à l’oreille que Petter Eldh, c’est le Millenium Mingus, il a raison. Cette musique est universelle et imagée. Les soli de Eldh sont courts et intenses, d’une puissance impériale.
Pour finir la soirée le groupe Møster et son leader Kjetil Møster au saxophone arrose la salle de saturations incandescentes.
Le lendemain, le groupe de Linda Fredriksson, saxophoniste finlandais.e de premier plan, est venu distiller cette musique très écrite, légère et dense à la fois, avec des structures très solides dont ils se libèrent à chaque instant par une force expressive débridée.

Stian Westerhuis, Kaja Draksler, Lotte Anker, Nick Dunston et Erland Dahlen © Mikolaj Zacharow

Enfin, le festival se fond dans l’académie avec une première attendue : le concert des cinq profs, à savoir Kaja Draksler (piano), Lotte Anker (sax), Nick Dunston (contrebasse), Erland Dahlen (batterie) et Stian Westerhuis (guitare et voix). Forcément avec un assemblage pareil, c’est quelque chose. Les cinq musicien.ne.s avaient pris le temps de discuter en amont sur quelques pistes possibles, directions de jeu ou couleurs à assembler. Le résultat est une longue improvisation avec une grande puissance de jeu, beaucoup de couleurs et de possibilités, des moments de tension et de respect. En guise de final, une reprise par Stian Westerhuis à la voix et le groupe en soutien, de « Dododo » de la chanteuse Sidsel Endresen. Une surprenante façon de terminer un long set improvisé.

Lotte Anker en session © Mikolaj Zacharow

Pendant la semaine, les jeunes musicien.ne.s se retrouvaient dans cinq grands studios (anciennement des studios de cinéma) pour travailler ensemble, encadré.e.s par l’un.e des professeur.e.s. Chacun ayant sa méthode, il est intéressant de constater comment s’organisent ces ateliers. Le but étant d’arriver à présenter un concert de 15 minutes, il faut trouver la voie la plus équilibrée possible. Chaque groupe est constitué d’une dizaine de personnes de nationalités différentes et dont les instruments sont répartis au mieux. Le niveau, d’une manière générale, est très bon. On l’a vu avec la jeune Ketija Ringa Karahona, « recrutée » par Petter Eldh, mais on trouve aussi des musicien.ne.s déjà professionnel.le.s, comme la saxophoniste danoise Amalie Dahl, les Français.e.s Delphine Deau, Léa Ciechelski, Henri Peyrous, le Belge Casimir Liberski ou l’Argentin Nicolás Pasetti pour n’en citer que quelques-un.e.s…

Kaja Draksler en session © Mikolaj Zacharow

Chaque matin, l’un.e des encadrant.e.s organisait pendant 2 heures une « morning session », sorte de conférence/atelier avec les étudiant.e.s pour présenter leur parcours, discuter, échanger, travailler, etc… Nick Dunston enseigne les rudiments d’une orchestration par signes qu’il met en pratique directement avec les étudiants, quand Kaja Draksler discute sur les thématiques de l’improvisation, de la composition, du rôle des musicien.ne.s. Il n’y a pas de format imposé !

Conférence Better Live Music © Mikolaj Zacharow

Pendant ce temps se déroulaient les tables rondes professionnelles autour de thématiques diverses comme l’organisation de tournées plus écologiques ou la présentation du nouveau projet (de 4 ans) Better Live Music, mis en place et soutenu par un collectif de lieux européens et qui a pour objectif principal de limiter l’impact carbone des tournées en créant un réseaux de petits lieux de concerts qui viendraient s’insérer dans un maillage plus important et ainsi permettre la circulation de groupes et d’artistes dans un territoire plus petit et à moindre impact écologique. Ce projet réunit une dizaine de partenaires et reçoit le financement de l’Europe. C’est l’équipe du Périscope de Lyon, emmenée par son directeur Pierre Dugelay, qui est venue le présenter aux invité.e.s concerné.e.s.

Enfin, la dernière soirée est consacrée aux cinq mini-concerts de la faculté. Défi technique qui consiste à préparer un grand plateau pour cinq orchestres différents avec pour certains deux batteries ou deux pianos, chacun jouant quinze minutes.

Nico Pasetti et Matylda Gerber © Mikolaj Zacharow

C’est le groupe d’Erland Dahlen qui ouvre le bal avec deux compositions des chanteuses, un bel ensemble dont émerge Casimir Liberski au Fender Rhodes et Oscar Andreas Haug à la trompette.
Le groupe de Kaja Draksler enchaîne avec une longue plage sur une composition du sax ténor Hristo Goleminov. Le son d’ensemble est cohérent et on remarque la sax alto norvégienne Heidi Kvelvane (déjà entendue dans les groupes de Paal Nilssen-Love) et la violoniste polonaise Lucy Brown.
Comme à son habitude, Lotte Anker joue avec son groupe : elle enseigne de l’intérieur, embedded. On sent un gros travail de mise en scène, basé sur l’interaction et un plan général. Ils improvisent une longue pièce et l’ensemble marque par sa cohésion. Au sein du groupe, cette façon d’aborder la pièce permet aux musicien.ne.s de se démarquer avec évidence. Impossible de rater la saxophoniste Léa Ciechelski [1], le tromboniste norvégien Emil Bø, le pianiste italien Francesco Pollon, la violoncelliste française Clémence Baillot d’Estivaux ou encore le trompettiste polonais Filip Żółtowski.
Le groupe du contrebassiste Nick Dunston présente une pièce structurée, bien préparée avec un magnifique final. On remarque la saxophoniste polonaise Matylda Gerber, le bassiste argentin Nico Pasetti et bien sûr la flûtiste lettone Ketija Ringa Karahona.
Enfin le groupe de Stian Westerhuis clôt la soirée avec un ensemble de dix musicien.ne.s plutôt bruyant et confus dont peinent à émerger la saxophoniste danoise Amalie Dahl et la pianiste Delphine Deau. Dommage.

Léa Ciechelski et Lotte Anker © Mikolaj Zacharow

Il n’en reste pas moins que le travail accompli pour mener à bien cette aventure est visible. Une académie pour jeunes musicien.ne.s d’une semaine, couplée à un festival et à des rencontres professionnelles, le tout dans un complexe unique regroupant l’hôtel, les studios de répétitions, les bars, les salles de concert, de conférence, etc… c’est aussi rare que fantastique.
Karolina Juzwa et son équipe renouvellent l’opération chaque année, avec un niveau d’exigence et de qualité qui augmente au fur et à mesure que les candidatures arrivent de la part de musicien.ne.s de plus en plus avancé.e.s dans leurs parcours professionnels. Sans parler de l’attention portée à la parité, à l’inclusion et à la bienveillance qui rend ce moment si mémorable.