Scènes

Pas de quartier pour l’ennui

Qonicho Ah ! et Susana Santos Silva ont enflammé la Dynamo, en solo, en duo et en trio.


La 37e édition du festival Banlieues Bleues a tourné court. Une semaine après la traditionnelle soirée d’ouverture à l’espace 1789 de Saint-Ouen, la direction du festival jetait l’éponge et annulait la suite des festivités. L’épidémie de coronavirus nous aura donc privés d’alléchantes soirées printanières. Restera pour moi cette belle soirée 100% féminine, pourtant quelque peu chamboulée.

La soirée promettait d’être belle. Le festival programmait la rencontre au sommet entre quatre grandes improvisatrices venues des quatre coins de l’Europe au sein du groupe Hearth (soit Susana Santos Silva, Mette Rasmussen, Ada Rave et Kaja Draksler). Hélas, de rencontre il n’y eut point.

La faute à ce maudit coronavirus et à son cortège de complications diverses et variées qui ont fait déclarer forfait à trois des quatre musiciennes. Dans l’urgence, le festival décide de modifier le programme : la trompettiste portugaise Susana Santos Silva (seule rescapée de Hearth) en solo intégral assurera la première partie, suivie par le duo Qonicho Ah !.

une force et une puissance sans pareille

Susana Santos Silva

Il est 20 h 45, ce 11 mars 2020.
Après avoir salué timidement une assemblée plutôt clairsemée, Susana Santos Silva se jette à l’eau. Elle empoigne sa trompette, prend une grande inspiration et entame son solo. On la sent affûtée, déterminée. Elle s’engage corps et âme dès les premières notes. Concentrée, visage émacié, elle ferme les yeux le plus souvent. Introspection. Chaque note, chaque son est d’une intensité remarquable. Du très grave au suraigu, du murmure au cri. Elle souffle, aspire, chuchote, crie, reprend haleine, puis inspire, expire, halète, soupire, suffoque presque. Elle visse et dévisse ses pistons, démonte son embouchure, trouve des sonorités inouïes. Ça condense dans les tuyaux, ça coule, ça éclabousse. Sa performance, extrêmement physique, dégage une force et une puissance sans pareilles, guidées par une maîtrise instrumentale époustouflante. Il est 21 h 15. La musique s’arrête. On rouvre les yeux. Susana Santos Silva est là, debout, radieuse. Elle salue et s’éclipse. On vient d’assister à un moment de grâce.

Qonicho Ah ! © Clara Lafuente

On reprend à peine ses esprits que déboule le groupe Qonicho Ah !

Qonicho Ah !, c’est Morgane Carnet au saxophone et Blanche Lafuente à la batterie. Elles forment un duo minimaliste et explosif depuis 2015. Après l’introspection feutrée de Susana Santos Silva, on prend un autre genre de claque. De celles qui nous bousculent et nous renversent de notre siège.

un chemin fait de motifs répétés et d’interjections free

Une puissance sonore de feu. Une énergie démente. Un set à mi-chemin entre free jazz, rock progressif et musique répétitive. Le saxophone de Morgane Carnet (avec reverb et un son saturé un peu sale), épais et volubile, trace un chemin fait de motifs répétés et d’interjections free. Blanche Lafuente emboîte le pas de sa collègue, distillant une pulsation tellurique, ponctuée de coups de semonce bien sentis. L’osmose est parfaite entre les deux musiciennes. Le tout avec une fraîcheur et un humour communicatif. En un peu plus d’une demi-heure, elles mettent tout le monde d’accord.

Susana Santos Silva rejoint le groupe pour clôturer la soirée, sur un dernier morceau improvisé et débridé. Grande première [1]. Et grande réussite tant l’alchimie fut totale entre les trois musiciennes et le propos juste et acéré. Peut-être vient-on d’assister à la naissance d’un nouveau Qonicho [2], E, F ou G. A suivre donc.

par Julien Aunos // Publié le 10 mai 2020
P.-S. :

[1La saxophoniste et la trompettiste se connaissent et s’apprécient depuis qu’elles se croisent au sein du nouvel ONJ version Fred Maurin.

[2Qonicho Ah ! Se décline en plusieurs versions au gré des rencontres : Qonicho B ! (avec la guitariste Nina Garcia), Qonicho C ! (avec la bassiste Farida Amadou), Qonicho D ! (avec la bassiste Fanny Lasfargues).