Sur la platine

Corsano, Courvoisier, Wooley : un présent de 2016

Voilà un album épuisé, du moins sur support physique.


Sous forme numérique, il est assez difficile à trouver sur Bandcamp. Il faut fouiller sur la page du label, Catalytic Sounds, ou sur l’une de celles de Nate Wooley, « pleasureofthetextsoundsamerican ». L’évidence, n’est-il pas ?
Mais muni de ce sésame, vous pourrez découvrir ce recoin caché, et plus si affinités. Quatre titres, chacun composé des seules lettres aklst, en autant d’exemplaires que vous voudrez du moment que cela fait sens (pari non tenu pour le dernier titre).

Trois musiciens qu’on aime à retrouver.
Nate Wooley propose souvent des aventures radicalement improvisées… n’oubliant pas totalement les racines noires. Sylvie Courvoisier sait faire le grand écart entre hypersensibilité et grandes percussions, entre ruissellements limpides et tremblements graves. Quant à Chris Corsano, il surprend toujours par l’invention des dispositifs qu’il conçoit, où le ruban adhésif joue un rôle clé pour faire tenir ses compositions d’objets, pour produire des sons totalement neufs. Malheureusement ici, l’absence d’image nous prive de cet élément de surprise. Restent les sons.

Une musique tonique, entre free et musique improvisée, bien évidemment. Du premier, elle retient l’énergie voire une certaine rage, les éclats, les dissonances. De la seconde, elle reprend la fouille de tout un univers de timbres, d’inattendus, de couleurs, au service d’une narration débridée. Des deux, le sens de l’instant qui fait de chaque morceau un moment unique, inédit, avec un vague soupçon de blues et de musique européenne.
Quatre pièces de durées inégales, la première, celle qui donne son nom à l’album, étant la plus longue (près de 21 minutes).

Des éclats multiples, d’abord sur le clavier, une trompette torturée d’emblée, le chaos des chocs déjà installé, mais en retenue. Il y a pourtant un thème, plutôt un motif de cinq notes, répétées, oubliées, sur le clavier. La trompette a aussi son pseudo-thème, pas le même : chacun ses jardins secrets ! ; une séquence à peine plus longue. Une sorte de pivot temporaire pour ses explorations, ses timbres vagabonds, ses tourbillons intimes. C’est le grand départ vers l’improvisation pure. Des résonances sombres du piano avant une danse étourdissante. Les fouilles quasi bruitistes de la trompette, ses vrombissements mécaniques, ses souffles félins, ses introspections en éclats aux franges du silence, ses craquelures, ses obsessions. Nate Wooley trouve en Chris Corsano un parfait frère en crime, ses chaos, ses roulements en guirlande, ses inventions permanentes. Corsano est sorti de sa relative discrétion initiale pour des mitrailles millimétrées, des déséquilibres minutieux, des dynamiques surprenantes. Un solo, puis un duo enivrant avec Sylvie Courvoisier, qui rappelle que le piano est aussi percussif.

Cet album est l’une de ces fêtes que sait produire la musique improvisée. Certes, ses couleurs sont assez distinctes de celles d’Europe. Les segments mélodiques n’y sont pas totalement absents. Les percussions, voire les phrasés, offrent par moments quelques balises rythmiques. Mais c’est d’abord un festin de timbres, d’initiatives, d’éclats de saveurs. Trois artistes remarquables, qui se livrent sans réserve. Une déferlante.

Sur Bandcamp, seule une piste est en libre écoute. Pour le reste de l’album numérique, vous pouvez vous le procurer pour 10$, comptez 12€ pour le change et les taxes.