Scènes

The Bridge #2.10 à Chicago 🇺🇸

Cinq musiciens forment un groupe inédit à Chicago.


The Bridge #2.10 à Pro Musica @ Virginia Saavedra

The Bridge #2.10 réunit Céline Rivoal à l’accordéon de concert, Katie Ernst à la contrebasse et au chant, Nick Mazzarella au saxophone alto, Tim Stine à la guitare et Sylvain Lemêtre à la batterie et autres percussions. Entre le 16 et le 29 avril 2024, ils ont effectué leur voyage exploratoire – intitulé que l’association The Bridge donne aux premières rencontres des groupes franco-américains formés dans le cadre de ce projet – qui leur a permis d’écumer les lieux et de s’aventurer dans des États voisins de l’Illinois (Wisconsin et Iowa). Avant leur rendez-vous en terres américaines, ils ont évité d’écouter la musique des uns et des autres par peur de former des préjugés et des attentes qui risqueraient de nuire à leur travail en commun.

Le 19 avril, la formation se produit à Constellation qui après 11 ans d’existence est devenu un lieu incontournable à Chicago sous la houlette du batteur Mike Reed. Ce soir-là, les cinq protagonistes se montrent bien sages pour ne pas dire trop polis. Cependant, leurs échanges démontrent qu’ils partagent une qualité essentielle dans le domaine de l’improvisation libre. Chacun sait rester sur la touche pour laisser les camarades converser en duo ou trio. De tout le concert, personne n’élève le ton. Au milieu de cette atmosphère de basse intensité, ce sont Sylvain Lemêtre et Tim Stine qui retiennent l’attention. Le percussionniste met judicieusement à profit son extraordinaire panoplie d’instruments, dont son tambour sur cadre qui constitue souvent son plan de travail et son tambour raquette d’inspiration japonaise tandis que le guitariste joue au véritable trouble-fête en insérant un micro dans la « bouche » de sa guitare acoustique pour émettre craquements, grésillements et crépitements.

Le 20 avril, dans les locaux de Pro Musica, un magasin de hi-fi haut de gamme dont un des propriétaires, Ken Christianson, est un ingénieur du son de premier ordre, le quintet offre un tout autre visage. Sans round d’observation, les cinq musiciens se livrent avec une intensité soutenue. La matière est brute et les combinaisons de la veille deviennent plus subtiles à l’intérieur de la masse sonore. En outre, chaque solo non accompagné finit par provoquer des réactions d’au moins deux autres protagonistes pour relancer la machine. Le constat est que le groupe qui semblait se chercher trouve déjà la bonne dynamique pour parvenir à un résultat plus que satisfaisant.

Paul Giallorenzo et Céline Rivoal @ The Bridge

Comme à l’habitude, le séjour à Chicago ne consiste pas simplement à permettre au groupe de se forger une identité en se produisant à multiples reprises. Il est également l’occasion d’initier des rencontres inédites avec d’autres musiciens – et cette fois-ci, pas uniquement des Américains. En effet, il se trouve que le trompettiste Nicolas Souchal et le contrebassiste Théo Girard sont tous deux de passage. On les retrouve notamment le 23 avril au Hideout au sein d’un sextet dans lequel figurent Lemêtre, Stine et Nick Mazzarella du Bridge #2.10 ainsi qu’Hunter Diamond au saxophone ténor. Sous l’impulsion de ce dernier, la formation apporte de temps en temps une touche orientale à leur défrichage. Chaque musicien sait également affirmer sa personnalité. Diamond et Mazzarella dessinent des arabesques et des boucles, Souchal claironne à souhait et Girard se transforme en percussionniste lorsqu’il se décide à tenter d’arracher les cordes de sa contrebasse. Lemêtre continue de jouer les schizophrènes, tantôt proposant des rythmes, tantôt agrémentant les contributions de chacun. Stine travaille en sous-main sous le couvert d’une fausse discrétion. Le moment fort reste le final où les six musiciens se retrouvent dans un quasi-unisson qui s’étire jusqu’à ce que la musique meure de sa belle mort.

Le 25 avril, les activités se déplacent à Elastic, un autre haut lieu des musiques improvisées de Chicago. Au programme figure un duo entre le pianiste Paul Giallorenzo et Céline Rivoal. Les deux musiciens semblent faits l’un pour l’autre. Ils proposent un dialogue vivant qui fleurte avec l’abstraction et offre quelques bribes mélodiques. Le set suivant voit Lemêtre se retrouver au sein d’un quintet avec Souchal, Girard, Naydja Bruton à la batterie, et Ollin Yotl au saxophone alto. Après une entrée en matière bruitiste, le groupe livre une séance d’improvisation classique alternant passages calmes et tumultueux sans que quiconque cherche à voler la vedette. La complémentarité affichée par Bruton et Lemêtre s’avère être l’aspect le plus savoureux du concert.

Master classe au Logan Center for the Arts @ The Bridge

Enfin, The Bridge propose des activités hors concert. Ainsi le 17 avril au Logan Center for the Arts, Rivoal, Stine, Mazzarella et Lemêtre sont conviés à travailler avec des étudiants du Jazz Ensemble du département de jazz de l’Université de Chicago dirigé par l’excellent guitariste Mike Allemana qui, ce soir-lâ, laisse Nick Mazzarella prendre en main la master class. Face à des jeunes craintifs et dubitatifs, le saxophoniste fait de son mieux pour les rassurer. Il les encourage à ne pas avoir peur de se tromper et à se jeter à l’eau tout en insistant sur l’importance d’être dans l’instant présent. Les novices sont ensuite répartis en petits groupes et sont surpris de ce qu’ils parviennent à réaliser. Une première expérience plutôt concluante qui, faut-il l’espérer, les poussera à creuser la question.