Chronique

The Turbine !

Entropy/Enthalpy

Benjamin Duboc (b), Harrisson Bankhead (b), Hamid Drake (dms, perc, voc), Ramon Lopez (perc, dms), Jean-Luc Cappozzo (tp, CD2), William Parker (b, CD2), Lionel Garcin (as, CD2)

Label / Distribution : Rogue Art

On pourrait se contenter d’une chronique lapidaire : G(P, T, n)=U+PV-TS

C’est l’équation à laquelle le titre du double-album de The Turbine ! nous renvoie. Entropy/Enthalpy, le troisième volet de la tournée The Bridge est inspiré des concepts issus du deuxième principe de la thermodynamique. Heureux ceux qui, en une formule absconse à la plupart (à commencer par l’auteur de ses lignes), auront ressenti la puissance et le mouvement qui traverse ce quartet qui réunit Paris et Chicago. Pour les autres, cet attelage inédit dont la conversation hésite à chaque instant entre la connivence et la joute devra se traduire en mots : ceux-ci seront du registre de la chaleur et de l’énergie. Comment peut il en être autrement lorsque Hamid Drake et Ramon Lopez se retrouvent sur une même scène ? C’est l’évidence à peine ils s’apostrophent dans un déluge de battements au cœur de « Rotor/Stator ». Les polyrythmies se chevauchent, s’unissent ou se désorganisent pour mieux revenir de front dans un shuffle conquérant.

Pour accompagner les batteurs, deux contrebassistes dans des spectres assez différents. Harrisson Bankhead, figure de l’AACM se saisit d’un registre plus mélodique plein d’émotion. Benjamin Duboc visite ces infra-basses dont il a fait son domaine. Ainsi, le magnifique « Steaming » est un échange profond entre des pizzicati qui font songer au chant entêtant d’une kora et un archet qui fouille les tréfonds. Il y a des moments de poésie pure qui demandent qu’on s’abandonne. Est-ce un double duo de basse et de batterie ou un mariage mixte ? L’équation sur ce point laisse quelques inconnues… Drake et Bankhead se sont souvent produits ensemble, notamment dans le Trio Indigo de Nicole Mitchell, mais ici les symétries multiples redistribuent absolument les cartes. Le quartet a une approche de la pulsation furieusement organique. Un ciment qui serait à la fois transatlantique et trans-méditerranéen ; il dépasserait la communication et même la communion (« Sparks in the Dark », et les psalmodies chamanique de Drake) pour frapper l’auditeur. Diane Gastellu l’écrivait : « nous - le public - sommes en apesanteur face à ce qui est devenu un seul corps musical formé de cinq organes prodigieusement coordonnés.  ». C’est exactement ça.

L’Entropie s’installe. Il s’agit de créer du dérèglement pour mieux susciter l’effervescence, le second disque s’attache alors à relater les rencontres faites lors des représentations. Sur « 500 Megawatts » c’est le contrebassiste William Parker qui les rejoint : les cordes entraînent les tambours dans un flot rocailleux, heurté mais d’une incroyable fluidité. C’est néanmoins lorsque des soufflants viennent échauffer ce moteur que le propos est le plus excitant. Le saxophoniste Lionel Garcin livre un long combat dans un « Free Power » qui pourrait à lui seul relancer les débats sur le mouvement permanent, mais c’est Jean-Luc Cappozzo qui, avec l’ahurissant « Electric Coil », offre à Entropy/Enthalpy son sommet. La trompette s’engouffre dans les brèches ouvertes, cite le « Milestones » de Miles Davis comme une déclaration d’indépendance et domine un groove qui réclame parfois son bouclage par quelque amateur de Hip-Hop curieux. The Turbine ! pérégrine sans carburant dans le cœur de nos musiques. Ce précis de thermodynamique est tout sauf une usine à gaz.