Thermal
Ice in a Hot World
John Butcher (as), Andy Moor (g), Thomas Lehn (cla)
Label / Distribution : Unsounds
Trio né il y a plus de vingt ans, Thermal réunit des musiciens à l’univers fort, marqué par le plaisir du son. John Butcher en est l’incarnation même : celui qui définit sa sonorité comme située à l’extrémité chambriste de la gamme [1] traverse Ice in a Hot World avec une sorte de flottement caractéristique, parfois s’enfermant dans de menus détails tout en étant capable d’accélérations massives, entêtées, rocailleuses lorsque la guitare d’Andy Moor le nécessite. Britannique lui aussi, Moor apporte une énergie punk, sèche, sans emphase comme à son habitude. C’est même le sujet de « Dreams are Fraying » où la guitare du musicien de The Ex ne quitte son silence minéral que pour aller se briser sur un saxophone dont la température monte imperceptiblement mais sans retour. La pression est palpable ; elle ne descend jamais, et surtout pas dans les temps faibles.
Le rôle du troisième sommet du triangle, dans ce contexte, peut paraître plus effacé à qui serait inattentif. Le synthétiseur de Thomas Lehn semble moins tranchant. Mais c’est un leurre : l’Allemand est au contraire le garant du dispositif de tension dans le moindre de ses gestes et dans ses plus petits sons, comme dans « Echoes of a Clucking Tongue » où, dans le maelstrom des anches qui sifflent et du ronronnement hostile de la guitare, ses trouvailles sont un ciment parfait pour les éclairs bruitistes de ses comparses. Il en résulte une musique dont le luxe de détails impose une écoute profonde, où l’instabilité est la seule certitude, et qu’il convient de secouer énergiquement par moments pour voir retomber les particules… Ou pour mieux les transformer, comme dans « Ice in a Cold Water" où la guitare rugueuse semble se polir dans un ostinato obsédant qui se frotte quelques instants à quelques chants arabes venus s’immiscer là.
Enregistré à l’AJMI d’Avignon en février 2020, à quelques jours d’une série de confinements qui semblent déjà s’écrire en filigrane dans cette musique rendue nerveuse par sa tétanie, Ice in a Cold Water est une fantastique expérience sonore. Comme son titre le suggère, l’orchestre induit une transformation progressive de la matière, une évaporation lente comme une distillation qui offre un produit final des plus capiteux.