Lorsqu’un objet céleste est découvert, les astronomes responsables de cette avancée lui donnent un nom codé, ou plutôt normé. Le nouveau projet du bassiste électrique belge Raphaël Malfliet a les mêmes caractéristiques : LE10 18-05 a un libellé étrange, mais facile à décoder. Les dix pupitres du Large Ensemble, qui s’est formé en Mai 2018. Et c’est une sacrée comète. Malfliet n’est sans doute pas encore assez connu de ce côté-ci des Flandres, mais sa discographie et ses collaborations témoignent pour lui ; familier de Frantz Loriot que l’on retrouve ici, il est à la tête du trio Noumenon avec Todd Neufeld et Carlo Costa. Très marquée par la musique contemporaine, l’écriture de Malfliet fait du son brut et de la pulsation une matière première inexpugnable. Avec ce nouvel orchestre, il porte ses idées plus loin, notamment avec le concours de deux percussionnistes, Toma Gouband et le fidèle Carlo Costa.
Mais avant « Parcours », qui nous plonge dans une orgie de rythmes qui semblent nous cerner telle une tornade et prendre même parfois des atours post-industriels, il y aura eu d’autres instruments. En premier furent les cordes : lorsque LE10 18-05 apparaît dans notre champ d’écoute, naissant d’un silence pesant comme une lumière vacillante qui devient progressivement crue, on entend en premier lieu, outre Loriot qui se fait discret pour mieux surgir, Elisabeth Coudoux au violoncelle et Cécile Broché au violon. La première est une jeune Allemande, figure prometteuse de la musique improvisée européenne. On l’a notamment vue avec Hugues Vincent dans The Octopus, mais aussi avec Bart Maris et Wilbert de Joode dans Plant 2000. La seconde est une artiste belge qui navigue entre musique contemporaine et improvisée. Alors que la flûtiste Karin de Fleyt et l’incroyable corniste Elena Kakaliagou les rejoignent dans cette longue pièce qui monte en puissance avec une grande tenue, on constate que LE10 18-05 est une photographie précise de la vivacité de la scène européenne. D’autant que Malfliet fait parler la poudre en maîtrisant la puissance électrique sur l’intense « Supersonic » où la nature sauvage du son reprend ses droits dans un tutti de cordes.
Paru sur le label Ruweh Records qui accueille souvent ce genre de projets à la fois bruts et raffinés, LE10 18-05 exacerbe les sens. Chaque détail peut prendre une importance folle : un son pris au vol qui serait scruté comme le moindre grain de silice d’un objet céleste, à l’instar de « Scintillation » qui débute par une fugue d’alto de Loriot pour mieux se retrouver dans le champ aride des souffles, entre le trombone de Henrik Munkebi Nørstebø et le saxophone de Leonhard Huhn. Comme cette dernière, certaines contrées peuvent sembler hostiles, ou même désertiques, mais cela rend la luxuriance encore plus forte. Malfliet intervient peu dans cet album qu’il dirige majoritairement, mais c’est bien sa musique qui signe la longue traîne d’énergie qui fait se mouvoir la comète à toute vibure. Il y a dans LE10 18-05 de l’espace, du relief, du minéral et une belle atmosphère. En bref, de la matière à explorer et de l’enthousiasme à revendre. Nul doute que cet album fera partie de ceux qui compteront dans les années à venir. Un big-bang de poche qui devrait séduire au-delà (voire vers l’infini…) du cercle habituel des initiés de la scène improvisée européenne.