Tilo Weber, percussionniste colorature
Rencontre avec un Berlinois baroque.
Tilo Weber © Andrea Kueppers
Batteur de Berlin repéré pour la finesse de son jeu, Tilo Weber a très vite démontré qu’il était également, et peut-être avant tout, un grand compositeur et arrangeur. Avec son Four Fauns au sortir des confinements, il avait ébloui et surpris par sa capacité à s’emparer des mélodies et des enluminures de la musique ancienne, sans rien perdre d’une attitude résolument moderniste. Avec Five Fauns et l’arrivée de la chanteuse Almut Kühne, c’est une confirmation et la transformation d’une atmosphère musicale qui ne se laisse jamais enfermer et prône le jeu et la liberté. La musique de Weber s’inspire de compositeurs nés il y a plusieurs siècles, mais il s’adresse à eux comme à des contemporains. Rencontre avec un musicien secret et fantasque, fasciné par le son et maniant son amalgame avec beaucoup de dextérité, de musicalité et d’intelligence.
- Tilo, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis batteur et compositeur, Berlinois. À l’âge de trois ans, je suis tombé amoureux de la batterie et je n’ai jamais cessé d’en jouer depuis. Après avoir joué en tant que sideman avec divers projets pendant de nombreuses années, tels que Y-Otis et le Clara Haberkamp Trio, j’ai ressenti un fort désir d’écrire et de jouer ma propre musique. J’ai sorti mon premier disque, Animate Repose, en 2016 et j’ai écrit de plus en plus de musique depuis. Aujourd’hui, j’aime composer autant que j’aime jouer de la batterie.
- Tilo Weber © Andrea Kueppers
- Vous multipliez les projets, mais celui qui semble central est Four Fauns, qui peut se décliner en fonction du nombre de musiciens. Quelle est la démarche de cet orchestre ? L’esthétique est-elle à part dans votre travail ?
The Fauns est un groupe que j’anime depuis longtemps maintenant. Il a débuté en 2017 sous la forme d’un quartet instrumental. Ce groupe est entièrement axé sur le son ! Le son et l’atmosphère jouent un rôle important dans tous mes projets, mais les Fauns sont le premier groupe où j’ai pu établir un son qui n’existait que dans ma tête auparavant. Le concept musical est ancré dans l’idée de jouer des arrangements de musique ancienne et de capturer le son de cette musique ancienne et vocale.
Le son et l’atmosphère jouent un rôle important dans tous mes projets.
- La musique ancienne est-elle une passion, une envie ou une manière de s’exprimer autrement ? On sait que vous avez notamment intégré l’épinette au sein de votre Tesserae Trio, joué par Elias Stemeseder… Est-ce le timbre, d’abord, qui vous intéresse ?
Je me sens comme par magie ou de manière mystérieuse attiré par le son de la musique ancienne et j’ai toujours aimé la musique pour clavecin de Couperin ou la musique vocale de Machaut. Je me suis permis d’arranger et de jouer cette musique en toute insouciance, car je suis un batteur de jazz, au bout du compte. Le son, les techniques de composition et les instruments de cette période musicale sont devenus un élément central de mon travail. Peut-être que cela changera à l’avenir, mais pour l’instant, je ne me lasse pas des contrepoints et des instruments acoustiques !
- Four Fauns © Annika Weinthal
- Dans votre dernier album avec Five Fauns, c’est la chanteuse Almut Kühne qui vous rejoint dans Five Fauns. C’est une musicienne avec qui vous travaillez par ailleurs dans d’autres projets. Comment s’est passée cette rencontre ?
- Tilo Weber © Jean-Marc Thiriet
Almut Kühne est une vocaliste phénoménale qui peut tout faire, des mélodies cristallines aux bruits les plus étranges. J’ai commencé à travailler avec elle dans mon trio Ensemble Du. Dans ce trio, j’écris de la musique basée sur des aphorismes du philosophe juif Martin Buber pour deux sopranos et moi au vibraphone. Almut est rejointe par l’étonnante chanteuse d’opéra Pia Davila. Pour moi, c’était un choix évident d’étendre les Four Fauns avec la voix d’Almut !
- Pouvez-vous nous parler également de cet ensemble DU avec la chanteuse ? Est-ce une prolongation pour ce goût d’une musique lyrique et aventureuse ? Palestrina et Machaut sont-ils l’ultime modernité ?
Chaque fois que je réécoute de la musique de Machaut ou de Solage, je suis absolument stupéfait de voir à quel point cette musique sonne moderne. Ce n’est pas un terme très exact, mais pour moi, cette musique sonne plus actuelle, voire en avance sur notre temps, par rapport aux compositions des gens de notre époque. Il y a quelque chose d’innovant, ce qui est le cas pour tous les paramètres musicaux auxquels on peut songer.
Le Trio Ensemble Du est un projet très spécial pour moi, car je ne joue pas du tout de la batterie, seulement du vibraphone. Mon objectif n’a jamais été de fonder un véritable projet de musique classique ou contemporaine, ni de me prendre pour un musicien classique, ce que je ne suis pas. Mais cette formation avec deux chanteurs et un vibraphone me donne une nouvelle inspiration pour écrire une musique que je n’écrirais pas pour le Tesserae Trio With Harpsichord ou les Fauns.
Je n’ai jamais été intéressé par le fait de jouer de la batterie pour le plaisir de jouer de la batterie.
- Vous êtes batteur et percussionniste, de ceux qui l’on appelle « coloristes » ou « musicaux », quels sont vos modèles ? La composition et l’arrangement sont-ils, finalement, ce qui se place au cœur de votre travail ?
J’aime la batterie en tant qu’instrument, mais je n’ai jamais été intéressé par le fait de jouer de la batterie pour le plaisir de jouer de la batterie. Même si vous jouez un solo de batterie sans accompagnement, l’objectif principal doit être de jouer de la musique. Cela peut s’avérer difficile avec la batterie ou les percussions, car la plupart des gens ne considèrent pas la batterie comme un instrument mélodique tel que le violon. Je n’ai jamais compris cela et je pense que ma vision ou ma mission est de présenter la batterie et tous les autres instruments à percussion comme un instrument lyrique comme tout autre instrument établi. Paul Motian, qui est aussi un grand compositeur doté d’un sens aigu de la mélodie, a joué un rôle majeur dans l’émancipation de la batterie.
- Ensemble DU © Nadja Höhfeld
- Dans votre travail en solo, l’objet est au cœur de votre musique, ainsi que les mots, notamment de Rilke. Est-ce une façon de chercher la beauté et la poésie dans la simplicité ? Une démarche qui rejoint votre inclination pour la musique ancienne ?
Je puise une grande partie de mon inspiration dans la littérature. Je lis surtout des ouvrages documentaires et des poèmes. L’aspect compositionnel du langage écrit me fascine. Outre le sens réel des mots et leur pouvoir, il y a toujours une ombre ambiguë qui reflète en quelque sorte notre monde irrationnel.
La nature mystique des poèmes de Rainer Maria Rilke m’a beaucoup inspiré. L’ambiguïté de ses mots stimule le cerveau et vous commencez à réfléchir à votre vie et à votre position dans le monde.
- Vous collaborez à l’orchestre de flûtistes Nancelot de Nancy J. Meier, dont le récent disque a aussi l’esthétique de la poésie épique. Quel est votre rôle dans cet orchestre ? Cela rejoint-il votre propre travail ?
En tant qu’artiste en constante évolution, j’aime me mettre dans des situations où je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire au départ. Nancy J. Meier a écrit une merveilleuse musique pour quatre flûtes et m’a demandé de me joindre à elle. Nancelot est probablement l’ensemble le plus inhabituel dans lequel j’ai jamais joué et les premières répétitions ont été très stimulantes. Je crois fermement qu’il faut faire confiance au processus, quel que soit le résultat. Seuls ceux qui osent gagnent. Nancelot est un projet spécial, car je partage avec Nancy le même désir de créer quelque chose qui n’existait pas auparavant. Ce processus peut être effrayant, car vous n’avez que peu ou pas de références pour vous guider.
- Êtes-vous tenté par l’expérience en plus grande formation, pour imposer votre écriture dans un contexte plus large ?
J’aimerais beaucoup écrire pour un orchestre plus large, par exemple un grand ensemble, si l’occasion se présente. J’ai déjà écrit pour un quatuor à cordes et une batterie, ainsi que de la musique pour un sextet de jazz, mais quelque chose de plus orchestral m’intéresserait vraiment.
- Nancelot © Sébastien Bard
- Quels sont vos projets ?
J’ai formé un nouveau trio avec le pianiste autrichien David Six et le saxophoniste hongrois János Ávéd. Nous allons enregistrer un album en janvier 2025 pour BMC Records à Budapest.
Il s’agit d’un trio collectif où nous partageons la même approche sonore. Nous contribuons tous les trois aux compositions et je suis particulièrement heureux de jouer du vibraphone sur certains morceaux.
Je vais aussi enfin publier la musique que j’ai écrite pour quatuor à cordes et batterie. Le violoniste Johannes Haase a commandé trois pièces pour son quatuor en 2023 et nous les avons enregistrées dans la magnifique Sendesaal de Brême. C’est la première fois que j’écrivais pour des cordes et c’était un voyage !
Enfin, mes projets pour 2025 consistent également à me concentrer sur mon projet solo, qui n’aura rien à voir avec les percussions et la voix comme le projet Rilke, mais plutôt avec de la batterie pure et dure. J’ai enregistré quelques morceaux avec le producteur Tobias Siebert qui a également fait du traitement en direct avec du matériel analogique.