Scènes

Tom Rainey Trio au Pannonica

Tom Rainey, batteur essentiel, sort enfin son premier disque en leader et part en tournée, accompagné par deux jeunes musiciennes très prometteuses.


A plus de cinquante ans, Tom Rainey, batteur essentiel, sort enfin son premier disque en leader et part en tournée, accompagné par deux jeunes musiciennes très prometteuses.

Parmi les nombreux batteurs de jazz et de musiques improvisées, il en est un qui jouit d’une réputation toute particulière, justifiée par une originalité au service de tous les jazz, que ce soit aux côtés de Fred Hersch ou Ken Werner, au sein des groupes de Tim Berne ou avec Tony Malaby.
Pourtant, Tom Rainey, car c’est de lui qu’il s’agit, est un musicien discret, à tel point que 2010 aura été l’année de son premier disque en leader, lui qui est né en 1957 ! Un événement que nombre de fans n’espéraient plus. Paru chez Clean Feed, le label portugais dont on ne dira jamais assez de bien, Pool School présente le Californien en trio, avec deux jeunes musiciennes extrêmement prometteuses : Mary Halvorson à la guitare et Ingrid Laubrock au saxophone ténor (et soprano sur le disque). C’est ce groupe que le Pannonica accueillait en ce mois d’octobre 2010, prouvant une nouvelle fois la qualité de sa programmation.

Débarqué la veille de New York pour le début de sa tournée européenne, le trio ne semble pas souffrir du décalage horaire. Et malgré l’obligation de repartir le lendemain dès 5h00 du matin pour la Roumanie, il offre aux Nantais une grande soirée de musique improvisée. Il faut dire qu’en la matière, ce sont parmi les musiciens les plus intéressants du moment : Mary Halvorson a fait ses classes aux côtés du génial Anthony Braxton et travaille régulièrement avec d’autres jeunes pousses prometteuses tels Taylor Ho Bynum, Jessica Pavone ou les membres de son trio, John Hébert et Ches Smith ; quant à Ingrid Laubrock, elle a suivi l’enseignement de Jean Toussaint et Dave Liedman avant de travailler avec Evan Parker, Kenny Wheeler, le pianiste anglais Liam Noble ou encore Marc Ducret (Le trio Noble/Ducret/Laubrock a d’ailleurs participé à la Zoom Night I au Pannonica à l’automne 2009).
Devant une cinquantaine de personnes apparaissent une Halvorson sac à main en bandoulière et manteau sur les épaules, une Laubrock tout sourire et un Rainey toujours aussi discret. On s’immerge d’emblée dans une musique organique, portée par l’association des timbres. Laubrock joue beaucoup sur le son, entre éructations et sonorité épurée, pleine et profonde. Sa technique lui permettrait tout mais reste au service de la musique : elle sait parfaitement dérouler de longues phrases presque hard bop avant de se jeter à corps perdu dans un free européen, puissant et expressionniste. Question timbre, on peut considérer Rainey comme un maître. Sa batterie tient autant de la palette de peinture que des percussions. Il triture la matière sonore comme personne, utilisant chaque percussion de mille manières différentes, allant jusqu’à dénicher dans une bouteille d’eau malaxée devant le micro le son qui convient. Mais le plus impressionnant reste sa faculté de créer, derrière ce jeu sur les couleurs, d’invraisemblables polyrythmies qui paraissent naître sans qu’il les marque pour autant. La sensation est indéfinissable.

Une des réussites de ce trio en général et de ce concert en particulier réside dans les correspondances, au sens baudelairien du terme, entre les dissonances de la guitare et le jeu de batterie « déséquilibré ». Cette forme d’instabilité dans le rythme et la mélodie est frappante, et l’association des deux musiciens très naturelle. Le jeu iconoclaste, très personnel, d’Halvorson s’inscrit pourtant dans l’histoire du jazz et des musiques improvisées. Il n’était rien arrivé de mieux à la guitre depuis très longtemps - depuis Joe Morris, par exemple. Ses improvisations permanentes s’appuient sur des lignes originales et des réitérations, entre dissonance, étrangeté, effets et autres bidouillages manuels qui renforcent sa personnalité d’instrumentiste. C’est elle qui nourrit la musique, en pose les fondations. Toujours à l’écoute, elle laisse à Laubrock et Rainey le place de développer leur discours en toute liberté, portés la guitare.

Le trio de Tom Rainey est à son image, celle d’un leader qui ne se revendique pas comme tel et a construit un véritable triangle équilatéral avec, au centre des préoccupations communes, l’attention mutuelle et la réactivité, le but étant de construire ensemble un discours nourri par le riche parcours du batteur.