Scènes

Emile Parisien Quartet/Daniel Humair au Mans

L’Europa Jazz Festival fêtait cette année son trentième anniversaire, avec entre autres une soirée en l’honneur de Daniel Humair et du quartet d’Emile Parisien.


L’Europa Jazz Festival fêtait cette année son trentième anniversaire, avec au programme les duos Mahanthappa/Iyer, Goubert/Domancich, Moholo/Crispell, le quintet de Louis Sclavis, Barre Phillips en solo ou encore le New Orchestra de Barry Guy.

Armand Meignan avait également concocté une soirée en l’honneur de Daniel Humair avec en ouverture le quartet d’Emile Parisien, sélectionné dans le cadre du programme Jazz Migration, dont l’objectif est de promouvoir les jeunes formations jazz. C’est le cadre magnifique de l’Abbaye de l’Epau, datant du XIIIè siècle, qui accueillait cette soirée en trois parties.

Emile Parisien © Patrick Audoux/Vues Sur Scènes

Le quartet d’Emile Parisien se présente sur la scène face à une salle déjà bien remplie. Les quatre jeunes musiciens ne semblent guère impressionnés et attaquent en imposant d’emblée leur univers particulier. Bien que l’on puisse distinguer un certain nombre d’influences, ce groupe parvient à proposer un voyage d’une belle originalité, démontrant que toutes ses sources d’inspiration ont été parfaitement digérées. Grâce à une grande maîtrise technique, la musique est portée par une énergie continuelle et s’appuie sur un jeu très expressif. Les compositions développent une dramaturgie prenante, signe de la maturité exceptionnelle de ces trentenaires. Tout ici est passé à la moulinette - rock, classique, contemporain – pour donner naissance à un jazz plein, dense, qui navigue entre détente et tensions. Même sur les arrangements de Wagner le quartet, qui fait preuve de beaucoup de cohésion, reste personnel. Malgré une sonorisation quelque peu étrange, avec notamment une batterie métallique et très en avant, on est impressionné par Julien Touery, Ivan Gelugne, Sylvain Darrifourcq et Emile Parisien. Ce groupe va sillonner la France cette année, il ne faut pas le manquer tant sa prestation scénique s’avère passionnante.

J-P. Celea & D.Humair © Michel Laborde/Vues Sur Scènes

Après une courte pause qui permet aux spectateurs de reprendre leur souffle, la scène accueille de grandes figures du jazz. Daniel Humair est à la batterie, au centre, entouré de Jean-Paul Celea à la contrebasse et de François Couturier au piano. Le trio a publié il y a quelque temps un bel album [1] où il rendait hommage à sa manière à quelques compositeurs classiques (Mahler, Beethoven, Britten). L’intérêt tient ici à la complémentarité entre le toucher subtil de Couturier, la contrebasse chantante et la batterie vagabonde et coloriste. C’est d’ailleurs Humair qui dynamite le jeu, ouvre des brèches où ses acolytes s’engouffrent avec un plaisir non feint. L’esprit est très proche du premier opus. On est de nouveau impressionné par la reprise d’un mouvement de la 7ème symphonie de Beethoven transformé en concerto pour batterie. Malheureusement, la musique a du mal a prendre son envol, à proposer autre chose que le disque. Malgré quelques beaux passages à la contrebasse ou à la batterie, on ressent une certaine frustration.

Joachim Kühn © Jean-Marc Laouénan/Vues Sur Scènes

Troisième et dernière partie de la soirée : Daniel Humair revient sur scène, cette fois accompagné par Joachim Kühn et Tony Malaby. Leur rencontre discographique de 2008, Full Contact [2], était enthousiasmante. L’impatience du public de l’Abbaye était donc bien naturelle. Ici les compositions servent de points d’ancrage aux pérégrinations du trio, comme des trampolines mélodico-rythmiques propulsant les acrobates de l’improvisation vers des sommets d’imagination. Après de brefs exposés des thèmes, l’un des trois musiciens entame un solo, accompagné par l’un de ses deux partenaires. Se créent ainsi des duos tournants qui multiplient les possibilités. Kühn, savant fou du piano aux doigts volubiles, déroule des phrases échevelées qui fourmillent d’idées.

Tony Malaby © Patrick Audoux/Vues Sur Scènes

Tony Malaby joue sur le son, les notes tenues ou les phrases déchaînées, en utilisant beaucoup les réitérations dans un style plus aéré que le pianiste. Enfin, Humair sert de catalyseur à cette douce folie : rebondissant sur les idées proposées par Malaby et Kühn, il colore la musique tout en la fluidifiant, faisant preuve d’une espèce de recul qui lui permet de magnifier le travail de ses deux amis. La musique intense délivrée par le trio n’échappe pas à quelques passages un peu plus faibles, peut-être dus au fait que les trois musiciens ont rarement l’occasion de se retrouver, mais n’est-ce pas là le lot d’une musique qui se joue dans l’instant, et puise son intérêt dans une recréation permanente ?