Scènes

Vingt ans de Lousadzak, émouvant Tchamitchian

Vingt ans, le bel anniversaire pour fêter l’Acoustic Lousadzak de Claude Tchamitchian et son label Émouvance. C’était à Marseille, les 22 et 23 octobre 2014.


Une œuvre ciselée en trois suites arrimées à un texte d’Agota Kristof. Il fallait du souffle et de l’élan pour ces musiciens de talent emmenés par le contrebassiste. Ils n’en ont pas manqué.

Lousadzak, drôle de mot. Les artistes, où vont-ils chercher tout ça ? (Surtout les musiciens !) Claude a son explication, et Tchamitchian – drôle de nom… – la livre volontiers : elle tient à la langue de ses ancêtres, l’arménien bien sûr. Lous comme lumière, même racine latine, et le reste pour jaillissement. À vrai dire, on pige tout de suite mieux à l’oreille… Ce n’est pas qu’un paradoxe : les sens communiquent entre eux ; ils « correspondent », précisera Baudelaire. Surtout l’oreille et l’œil, ce qui ouvre tout grand l’espace audiovisuel. Pour les autres sens, sans parler du sixième, ça peut passer par un verre de vin, une caresse…

Lousadzak, donc, est une des formations rassemblées autour du contrebassiste (elles vont du solo au tentet), comme ce fut le cas ces 22 et 23 octobre à Marseille, à la Friche - Belle de Mai pour un concert-événement. Car il s’agissait de fêter à la fois les vingt ans du Lousadzak et du label Émouvance, créés ensemble – avec, à la production, la bienveillante et active complicité de Françoise Bastianelli – au nom de la même cause musicale. Voilà pour les présentations de base, et pour « les moins de vingt ans »…

L’Acoustic Lousadzak à Marseille © gp

Quatrième orchestre de l’aventure Lousadzak, voici donc la variante « Acoustic. » Comme son nom l’indique, l’essentiel vient de là : pas d’intermédiaire, chaîne directe de l’instrument aux osselets, exception faite du zeste d’amplification de la guitare (d’ailleurs bien trop faible, en l’occurrence) et de la contrebasse. On aura beau faire, avec tous les matériels et les talents électroniques possibles, rien ne vaut l’acoustique, sa richesse d’harmoniques, sa finesse dans les couleurs sonores.

Ils n’avaient plus joué ensemble depuis un bon moment, sinon la veille à Rochefort-du-Gard près d’Avignon, chez Rémi Charmasson – camarade de Claude au conservatoire (voir notre interview). Une sorte de générale, payée de quelques « pains », presque tous digérés pour le concert marseillais.

C’est une musique écrite, très écrite, travaillée, sculptée. Quelques rares interstices sont laissés à l’improvisation. L’œuvre s’intitule Mots pour maux. C’est un essai poétique et musical, trois suites orchestrales de trois mouvements chacune, sur des textes de l’écrivaine d’origine hongroise Agota Kristof (morte en 2011), adaptés par Christine Roillet (qui signe également un livret original élaboré postérieurement à la composition musicale). L’affaire repose donc sur une base littéraire. Il y fallait une voix, une sacrée voix qui « porte », poétique et orchestrale : celle de Géraldine Keller. Cette soprano, par ailleurs flûtiste – venue des arts plastiques… et du conservatoire de Strasbourg – se voue à l’engagement total, corps et voix, indissociés. Comme tout (bon) musicien, dira-t-on. Oui, avec instrument incorporé. Comme tout bon vocaliste alors. Elle qui se dit « pneumo-facturière de matière sonore volatile »… Sois donc fière, ouvrière ! La voix, en effet, se coule dans l’ouvrage comme une source vive. Le fantôme d’une Cathy Berberian semble rôder…

Jouant sur des registres très divers, à l’image de ce qu’on dit être la « musique actuelle », ce concert traverse des moments de grâce multiples. Comme lors de chaque chorus, à chaque page poétique qui se tourne et entraîne la suivante. Ainsi lorsque la contrebasse passe « la main » au piano (Stephan Oliva), relayé par la voix, justement, puis par celle du bugle (Fabrice Martinez). Frissons garantis.

On ne raconte pas vraiment un concert (on peut toujours s’y essayer) ; tout au plus laisse-t-il à chacun le souvenir de ses émotions, indicibles ou presque. On en sort autre, enrichi, moins bête. Claude Tchamitchian est un passeur de musique, un compositeur de grands crus – il aime le vin et sait assembler ses musiciens, qui le lui rendent au centuple. C’est dire si, en face, le public trinque !

par Gérard Ponthieu // Publié le 16 février 2015
P.-S. :

Avec : Géraldine Keller, voix / Roland Pinsard et Catherine Delaunay, clarinettes / Régis Huby et Guillaume Roy, violons / Stéphan Oliva, piano / Fabrice Martinez, trompette / Rémi Charmasson, guitare / Edward Perraud, batterie et percussions / Claude Tchamitchian, composition et contrebasse.