Baldo Martínez
Cuarteto Europa
Baldo Martínez (b), Dominique Pifarély (vln), Samuel Blaser (tb), Ramón López (dms)
En 2006, nous écrivions à propos du galicien Baldo Martínez, de passage par Jazzycolors avec son vieil ami Ramón López : « Baldo Martínez est sans doute moins familier des oreilles françaises. Venu de la belle Galice et basé à Madrid, c’est l’un des piliers de la « contrebasse d’avant-garde » en Espagne. ». Constatons que treize ans après, cette injustice perdure et que l’Espagne reste pour la France l’angle mort de l’Europe du Jazz. Pourtant, de Joachim Kühn à Kenny Wheeler, les grands improvisateurs du continent ne se sont pas trompés sur le pedigree d’un musicien qui se situe dans la sphère des folklores imaginaires où la dimension écrite est très présente. C’est le cas dans le luxueux Cuarteto Europa qu’il vient de publier : « Sombra », où Dominique Pifarély convoque quelques photons de la seconde école de Vienne en relais d’un beau travail à l’archet du leader en est le parfait exemple.
Ce n’est cependant pas un cadre dans lequel le Cuarteto Europa souhaite s’enfermer, et Ramón López induit une énergie qui tient parfois lieu d’entropie. Son jeu est fort coloriste, s’intéressant davantage aux peaux de ses percussions qu’à la batterie elle-même (« Puente del Estrecho »). C’est ce qui, entre autres, permet à l’orchestre d’être toujours sur le fil, prêt à s’abandonner à l’abstraction tout en conservant un réflexe collectif (« Locura Otoñal » où Pifarély et Martínez font cause commune). Les musiciens que Baldo Martínez a réunis autour de lui montrent bien toute la vigueur de l’improvisation européenne. « Vuelta de Tuerca » est un morceau déconstruit mais extrêmement structuré où la basse sous-jacente rassemble les fragments avec une souplesse et une dextérité rare. Il en résulte une discussion animée et fraternelle avec le tromboniste Samuel Blaser qui se montre ici d’une grande sobriété. Il rejoint aisément le rôle rythmique du contrebassiste mais embrasse pareillement le timbre du violon avec ces glissandi précis qui le caractérisent. Il sait aussi, dans l’intense « Viaje Ons » introduire en soliste une mélodie sortie des profondeurs que Martínez reprend avec la rondeur propre à son jeu.
C’est un véritable plaisir de retrouver ces quatre-là ensemble, et de les regarder jouer avec une telle décontraction. Tout au long de l’album, c’est bien la sérénité qui se dégage de l’écoute ; une lumière chaleureuse qui tient tout autant de la simplicité que de la virtuosité. Toujours sur « Viaje Ons », qui s’impose au centre de l’album comme la croisée des chemins, on assiste avec un brin d’excitation aux dialogues incessants entre Pifarély et Blaser. Ils perdurent dans le magnifique « Tempo Perdido », à peine souligné par une base rythmique très malléable qui s’occupe du relief et de la douceur des angles. Il aura fallu un détour en Espagne pour que ces deux-ci se retrouvent ensemble sur disque. Au regard de l’excellence de leurs échanges, qui doivent beaucoup aux compositions de Baldo Martínez, on en vient à espérer que ce ne soit pas une alliance passagère. Si tel était hélas le cas, elle serait à tout le moins gravée sur disque. Et de la plus belle des façons.