Daniel Zimmermann chamboule Gainsbourg
Nancy Jazz Pulsations fête ses 50 ans # Chapitre VI – Théâtre de la Manufacture, mercredi 18 octobre – EL6TRIC / Daniel Zimmermann.
Daniel Zimmermann © Jacky Joannès
C’est le premier soir de pluie pour Nancy Jazz Pulsations. Une bonne raison de retrouver le confort du Théâtre de la Manufacture où le jazz va une fois de plus faire la démonstration de sa vitalité. Le pianiste Stéphane Escoms joue la carte d’un jazz rock nerveux, avant que Daniel Zimmermann n’agite dans son shaker les particules du monde de Serge Gainsbourg.
Ils devaient être six sur scène, d’où le nom de la formation emmenée par Stéphane Escoms, El6tric. Mais les violences bouleversant notre monde ont eu raison de la venue du guitariste Eran Har Even qui a dû déclarer forfait. C’est donc, en quelque sorte, un concert d’El5tric auquel le public assiste. Malgré cette défection contrainte, le répertoire joué, pour l’essentiel tiré de l’album du groupe publié en 2019 dans sa version quartet (vous nous suivez ?), est suffisamment riche et ouvert pour que la musique n’en souffre pas. Il faut dire aussi que les souffles conjugués et les interventions impérieuses de Franck Wolf (saxophones), déjà présent sur quelques titres du disque, et de Christian Altehülshorst (trompette) vont permettre au pianiste de déployer une musique à l’assise très électrique fournie par la combinaison de son Fender Rhodes et de la basse de Laurent Salzard, tous deux modelant avec la batterie de Franck Agulhon une rythmique conquérante. On peut évoquer l’idée d’un jazz rock voyageur (jusqu’à un « Marrakech », une ancienne composition de Stéphane Escoms clignant de l’œil à « Caravan ») avec parfois des inspirations funk, et souligner la volonté du groupe de concentrer les énergies au maximum pendant le temps qui lui est imparti. Une heure, c’est court : dans ces conditions, il est essentiel d’aller droit au but. C’est une performance que le quintet ne manque pas d’accomplir, démontrant ainsi toutes les qualités que nous avions déjà soulignées dans notre chronique de l’album. Un nouveau disque est annoncé en 2024, c’est une belle nouvelle. Affaire à suivre…
- EL6TRIC © Jacky Joannès
On ne présente plus Daniel Zimmermann, dont la carte de visite est du genre à vous intimider. Actuel membre du Sacre du Tympan de Fred Pallem et de l’Orchestre National de Jazz sous la direction de Frédéric Maurin, le tromboniste compte parmi les musiciens les plus actifs de la scène française depuis une trentaine d’années. Le quartet qu’il présente ce soir est du genre expérimenté et inventif, ce qu’il avait démontré lors de son premier rendez-vous discographique en 2016, Montagnes Russes. Ce soir, avec ses valeureux comparses Pierre Durand (guitare), Jérôme Regard (basse) et Julien Charlet (batterie), Daniel Zimmermann va se lancer dans une joyeuse entreprise de déconstruction du répertoire de Serge Gainsbourg, tel qu’on avait pu le découvrir au début de l’année avec le disque L’homme à tête de chou In Uruguay. D’esprit volontiers taquin, notre homme fait le choix de ne pas se saisir forcément des chansons les plus connues et va essentiellement puiser dans le répertoire des années 60, au temps des albums L’étonnant Serge Gainsbourg (n° 3), Gainsbourg Percussions, Gainsbourg Confidentiel, Initials B.B. ou Bonnie And Clyde, sans oublier toutefois un passage par L’histoire de Melody Nelson. Non sans gourmandise, on reconnaît les thèmes avant de se laisser embarquer dans le grand jeu de « chamboule tout » du quartet. La paire Regard / Charlet est explosive (étonnante présence scénique du bassiste dont la quasi immobilité est inversement proportionnelle à la puissance dégagée) et Pierre Durand – déjà passé par ici il y a sept ans au sein du quartet « Dreamers » de Sébastien Texier – fascine en habitant chaque note qu’il joue et en écrivant de véritables scénarios lors de chacune de ses interventions (sa gestuelle mérite elle aussi qu’on en souligne le caractère singulier, beaucoup plus chorégraphique il est vrai). Dans des conditions aussi propices, le tromboniste, qui joue les maîtres de cérémonie en expliquant sur un ton humoristique l’histoire de chaque titre interprété, s’en donne évidemment à cœur joie et porte l’ensemble avec cette alliance de force et de décontraction qui le caractérise. Gainsbourg, qui n’était pas encore Gainsbarre, doit apprécier le traitement de choc que ces quatre-là lui font subir. Cerise sur la gâteau, on découvrira lors du rappel que Daniel Zimmermann sait aussi être chanteur (mais après tout, son trombone n’est-il pas l’extension de sa voix ?) avec une élégante version de « Intoxicated Man » (publiée en 1962 sur l’album N° 4). Juste avant un ultime « Montagnes Russes », composition titre du premier disque du quartet. La boucle est bouclée. Encore un beau moment de musique à mettre au crédit des 50 ans du festival.
- Daniel Zimmermann © Jacky Joannès
NJP 2023, une histoire à suivre très vite…