Le réchauffement climatique selon Festen et Samy Thiébault
Nancy Jazz Pulsations – Chronique 5 – Mardi 16 octobre 2018, Théâtre de la Manufacture – Samy Thiébault / Festen
© Jacky Joannès
Attention, soirée haute en couleurs au Théâtre de la Manufacture : avec Festen venu dynamiter sa musique inspirée par le cinéma de Stanley Kubrick, puis Samy Thiébault qui a fait monter la température dans un accès de fièvre caribéenne. Avec eux, la courbe du réchauffement climatique n’est pas près de s’inverser…
Festen n’y est pas allé par quatre chemins, comme on dit trivialement. Pour sa deuxième venue au Théâtre de la Manufacture (le groupe était l’invité du Manu Jazz Club le 6 avril 2017), le quartet a frappé fort d’entrée de jeu avec un set puissant et dense, sans la moindre pause. Un concert qui démontre, s’il en était besoin, que les récents propos du saxophoniste Damien Fleau au sujet d’Inside Stanley Kubrick, le nouvel album du groupe, étaient fondés : « Le jazz, c’est finalement la musique la plus cool de la terre, la plus punk, la plus libre, celle où on peut tout se permettre ».
- Damien Fleau (Festen) © Jacky Joannès
Comme son nom l’indique, le disque est inspiré par la musique des films de Kubrick et c’est toute la démesure, pour ne pas dire la folie du cinéaste que Festen célèbre en jouant un jazz qui, par bien des aspects, a des allures de rock. La paire rythmique composée d’Oliver Degabriele à la basse et de Maxime Fleau à la batterie est sans contexte le moteur de cette surtension continue.
C’est un déferlement qui, je l’ai compris en laissant traîner mes oreilles par la suite, en a dérouté quelques-uns, et qui exprime au mieux par sa radicalité ce que Festen veut signifier : « Ce disque est une nouvelle étape pour nous car nous sommes arrivés à ce que nous cherchions depuis longtemps, à savoir ce son et cette densité. Bizarrement, on a réussi en revenant à ce qui nous caractérise, le jazz ! C’est surprenant, mais c’est là où réside la différence avec nos albums précédents ». Au début de chaque morceau, on entend de courts extraits de dialogues de film, on reconnaît sans peine les thèmes, comme « Also Sprach Zarathustra » de 2001, Odyssée de l’espace ou la « Sarabande » de Barry Lyndon. Cette composition signée Haendel est l’occasion pour le pianiste Jean Kapsa d’asséner un de ces chorus dont il a le secret et qui le voit passer en quelques minutes du romantisme à une frénésie free jazz martelée. Damien Fleau, tel un boxeur – un sport qu’il pratique – entre dans chacune de ses notes comme s’il portait un coup au plexus. Festen a mené un combat, au sens propre du terme, poussant assez loin les limites d’une musique sans concession qui promet d’être toujours aussi cinématographique à l’avenir puisqu’en guise de rappel, le groupe a joué un thème d’Ennio Morricone, qui préfigure la suite de son travail. Je vais continuer de suivre ces quatre garçons dans le jazz de près, comme je le fais depuis huit ans maintenant !
Pour Samy Thiébault, il s’agit aussi d’un deuxième passage, après son concert au Manu Jazz Club le 17 mars 2016, quand il était venu partager sa passion pour le groupe The Doors. Mais ce dernier n’a pas opté pour le passage en force, tant s’en faut.
- Samy Thiébault © Jacky Joannès
Le saxophoniste a plutôt cherché la séduction chaloupée en présentant son nouveau projet qui vient de faire l’objet d’un disque exemplaire, Caribbean Stories (ma chronique sera bientôt disponible ici-même). Ce nouveau travail lui a été inspiré par la découverte voici quelques années de la musique des Caraïbes après un voyage au Venezuela.
Autour du saxophoniste, un groupe qu’on a envie de qualifier de parfait tant le constat de son équilibre est frappant : un trio rythmique d’une grande richesse, souple et foisonnant à la fois, qui donne envie de bouger et danser, ce qu’interdit malheureusement la configuration de la salle. Felipe Cabrera est à la contrebasse, poussé par la paire constituée de Lukmil Perez (batterie) et Inor Sotolongo (percussions). Et c’est Hugo Lippi, un ami du saxophoniste avec lequel il n’avait pourtant jamais joué, qui officie à la guitare. Son jeu nerveux, mais toujours mélodique vient ajouter aux couleurs éclatantes de l’ensemble. C’est un régal…
Samy Thiébault est aujourd’hui un musicien épanoui, jamais dans la démonstration et cette nouvelle étape caribéenne lui va comme un gant. Ses interventions, pour chaleureuses et chaudes qu’elles soient, n’en gardent pas moins une nécessaire concision, que lui inspire une musique dont on ressent directement la vibration. Calypso, merengue, boléro, salsa, valse… un brassage à l’œuvre devant nous tous et une aventure humaine avant tout : « Si l’on raconte que le jazz est né à la Nouvelle Orléans, on sait qu’il fut forgé dans toute la Caraïbe. Africains, Tainos, Espagnols, Indiens, Anglais, Français, ces peuples se sont rencontrés dans les histoires d’esclavagisme, de révolte, de métissage, d’utopies et de libertés ».
C’est toujours la même chose : dans ces moments d’exultation, le temps passe trop vite et, une fois encore, on voudrait que cette musique se fasse entendre en un lieu plus festif, où il serait possible d’approcher de la scène et de danser devant les musiciens. C’est peu dire qu’avec Samy Thiébault et sa fête des Caraïbes, le Chapiteau de la Pépinière nous a manqué, même si notre plaisir était grand.