Scènes

Céline Bonacina au Moulin à jazz (Vitrolles)

En plein jazz vivant…


Dans l’étui de son saxo, elle pourrait bien y nicher… Je blague, bien sûr, mais il s’agit tout de même d’un baryton. Et Céline Bonacina taille plutôt alto, voire soprano. Et puis, après tout, puisqu’elle joue des trois et qu’« aux âmes bien nées »… Toujours est-il qu’avec basse et batterie son trio a littéralement enflammé le Moulin à jazz de Vitrolles, samedi 12 février 2011, comme rarement on l’avait vu dans ce lieu pourtant peu frileux. Tentons des explications…

Photo Gérard Tissier (DR)
D’abord, la formule originale de ce triangle. Aux trois sommets bien affirmés. Derrière ses fûts et cymbales, ce grand Malgache d’Hari Ratsimbazafy qui assure comme un rock [sic], car il bat aussi dans ces registres. D’où des salves toniques sans enflures, pimentées de poivre tropical : Céline a vécu sept ans à la Réunion où convergent tant de courants de l’océan Indien (« Travel stories »). Salves rejointes à la basse électrique de Kevin Reveyrand dans de volcaniques envolées. L’affaire tourne rond, si on peut dire, sur ses trois pointes affûtées.

Et puis il y a elle, empoignant son grand orgue cuivré qu’elle fait donner dans les plus délicates nuances. Depuis le velours d’une ballade (« Free woman », autoportrait ?) jusqu’aux attaques de « Wake Up » tout en souffle et en slaps à la rythmique impeccable. Le baryton est son chouchou, certes, et on le comprend car elle y trouve une voix des plus originales sans devoir se mesurer au « colossal » de référence. Aux saillies mâles d’un Sonny Rollins, elle oppose sa voie « tranquille » – tout étant relatif – par une sorte de détournement, allez disons-le, féminin de cet instrument un chouïa monstrueux, en tout cas démesurément phallique. Et quand elle troque la bête pour l’alto et le soprano, c’est bien pour s’affirmer comme une musicienne hors pères [re-sic] : au diable les références historiques trop prenantes !

Mais Céline Bonacina, c’est aussi, et en plus, un sens poussé de la scène. Elle est là, si présente, en-jouée, vivante. Où l’on retrouve le plein sens des mots « jazz vivant », de celui qui s’écoute et se voit – comme disent nos camarades de l’Ajmi d’Avignon à propos de la meilleure façon d’aimer le jazz. Le disque, en jouet solitaire, ne saurait remplacer ces moments de grâce où le spectacle se forme sous notre nez, à fleur de peau, tous poils dressés, bref en « live ». Un jazz qui se chante aussi [« Zig-zag blues »] et qui fait chanter le public – comme au cabaret ! – et, pour un peu, se danserait comme aux anciens temps du ragtime ou du be-bop. Ainsi, quand Céline secoue son « kayamb » réunionnais, ça remue les fibres. Elle a eu beau tenter de calmer le jeu avec sa berceuse faussement finale – beau moment, là encore - avec quelques subtiles effets de boucle et une ode à Satie tournée à la manivelle d’une boîte à musique. On aurait pu en rester sur cette impression toute bleue. Ben non, ça repart pour du rab, endiablé. Les beaux concerts durent longtemps après.