Chronique

Dominique Pifarély

“Suite : Anabasis”

Dominique Pifarély (vl), Valentin Ceccaldi (cello), Bruno Ducret (cello), Sylvain Hélary (fl), Matthieu Metzger (as, ss), François Corneloup (bs), Antonin Rayon (p, claviers), François Merville (dms)

Label / Distribution : Jazzdor Series

Inspiré par le poète roumain de langue allemande Paul Celan, Dominique Pifarély signe sur le label Jazzdor série une longue et ambitieuse pièce. Renouant avec les formations étoffées avec lesquelles il a déjà travaillé précédemment (on se souvient de son ensemble Dédales et les disques Nommer chaque chose à part et Time Geography en 2009 et 2014), il fait à nouveau valoir de grandes capacités de compositeur et d’arrangeur que cache parfois son immense talent d’instrumentiste.

La scansion du poète constitue le tempo initial, le souffle premier qui anime en profondeur cette suite organisée en cinq mouvements amples. Anabase, la remontée de la mer vers les montagnes, titre également d’un poème de Celan de 1963, prend le temps de s’ouvrir et d’investir l’imaginaire de l’auditeur par une articulation irrémédiable. Peu à peu, servie par une formation de huit musiciens particulièrement sur le qui-vive et qui rendent compte de toute la complexité de cette musique, la composition se met en place dans un enchaînement de moments pivots. L’orchestre installe des rythmes marqués et finit par sonner à plein.

Traversant des climats qui sont les moyens d’entendre les différentes individualités lors d’improvisation toujours au service du propos collectif, on s’engouffre dans une mécanique narrative, qui ne raconte rien de textuel mais nous envahi de couleurs contrastées, vivantes, vitales, tragiques. La puissance du baryton du fidèle François Corneloup, les flûtes préoccupées de Sylvaine Hélary, le saxophone agonisant de Matthieu Metzger ou encore le piano inquiétant et instable d’Antonin Rayon, animent des tableaux enchâssés les uns dans les autres.

Un souffle d’une grande puissance lyrique parcourt l’intégralité du répertoire, faisant vibrer les contre-chants, notamment les pupitres scintillants des cordes (Valentin Ceccaldi et Bruno Ducret et la batterie souterraine de François Merville). Sur le final, « Sans bruit, les voyageurs », Dominique Pifarély donne libre cours à son violon. Il le fait sonner comme un cri déchirant, longue plainte ou convulsion, sursaut ardent qui accroche son éclat au sommet de cette pièce majeure.