DJ Grazzoppa’s DJ BigBand + Aka Moon
DJ Grazzoppa’s DJ BigBand + Aka Moon
DJ Grazzoppa’s Big Band (turntables), Fabrizio Cassol (as), Stéphane Galland (dms), Michel Hatzigeorgiou (b), Monique Harcum (voc)
Label / Distribution : Cypres
Les apparitions d’Aka Moon sont toujours de petites mécaniques de découvertes, et des voyages dans un inconnu familier. Après un album remarqué en compagnie de Baba Cissoko et Black Machine où le trio investissait le vocabulaire de la musique mandingue, c’est avec un sentiment mêlé de surprise et d’excitation que l’on découvre le trio belge en compagnie de l’imposant Big Band du DJ britannique Grazzoppa, constitué de douze turntablistes [1].
Enregistrée live en 2007 au KVS de Bruxelles, la rencontre a été facilitée par la participation du saxophoniste Fabrizio Cassol, dont la patte se perçoit dès les premières notes, en particulier dans la dimension orchestrale des DJ virtuoses. L’ensemble aurait pu tourner à la grandiloquente artillerie sans son travail très vertical sur l’ordonnancement des samples et des scratches, ainsi que sur le rôle de chacun, distribué en chorus et soli comme dans un big band « classique ».
Toujours considéré avec mépris et condescendance, le turntablisme est pourtant entré dans la sphère du jazz dès le début des années 80 [2]. Les platines apparaissent régulièrement lorsqu’il s’agit de donner une teinte « funky » ou, de manière plus subtile, pour travailler l’altération du son et la complexité du rythme. Entre les deux voies, l’association d’Aka Moon et du Big Band ne tranche pas, afin d’utiliser pleinement les ressources de l’instrument. Si l’on doit reconnaître que les interventions de la chanteuse Monique Harcum, marquées par une soul assez datée, sont les temps faibles de l’album, des morceaux comme « DJ Bigband Sound » ou « Kaastrack » jouent à la fois la carte d’un hip-hop des origines tout en peaufinant les jeux d’illusions polyrythmiques caractéristiques de la paire rythmique du trio belge.
Michel Hatzigeorgiou délivre des traits de basse électrique virulents qui répondent aux samples des DJ, pendant que le batteur Stéphane Galland s’instille entre les lignes de scratches pour densifier encore le rythme. Cette immersion dans la musique urbaine et cette appropriation immédiate invente un nouvel avatar à la musique d’Aka Moon, intransigeant quelle que soit la grammaire musicale. Un morceau comme « Amazir », déjà fameux dans la discographie du trio, fait briller le jeu parcimonieux de Cassol au sein de cette exubérance rythmique. Le travail des DJ sur la musique gnawa permet de boucler la boucle sans pour autant verser dans une insupportable « sono mondiale » : chaque sample, chaque scratch est utilisé pour servir un propos et aller vers l’autre.
Il suffit de se référer au DVD inclus, qui reprend le concert dans son intégralité, pour se rendre compte du travail des DJ, qui cherchent l’efficacité et le foisonnement avant la performance ; dans un milieu où la « battle » est de mise [3], c’est la musique qui est mise en avant, et non la compétition factice. Aka Moon, au centre de ce cénacle de DJ, magnifie la roborative musique du Big Band sans tomber dans l’ornière de l’opposition de styles ; ce sont bien seize musiciens qui, sur scène, tirent dans le même sens - celui d’un groove fiévreux et efficace, dont témoigne ce disque passionnant.