Chronique

Brew

Heat + Between Reflections

Miya Masaoka (koto, dan bau), Reggie Workman (b, perc, objets), Gerry Hemingway (dms, vib, elec, fx)

Label / Distribution : Clean Feed

Lorsqu’en 1998, Miya Masaoka et Reggie Workman entamèrent un série de concerts à la Knitting Factory de New York, la kotoïste venait d’enregistrer un album remarqué en duo avec George Lewis et s’apprêtait à entamer une collaboration de longue haleine avec Larry Ochs. Figure du jazz et des musiques improvisées, Workman distillait sa grande rigueur rythmique, avec cette approche parfois clinique et discrète mais toujours idéale, sans un gramme qui dépasse. D’abord convié comme invité, le batteur Gerry Hemingway venait à l’époque de sortir Chamber Works chez Tzadik, et l’on peut découvrir sur cette décennie une collaboration conséquente avec Workman. Très vite, le duo, devenu trio sous le nom de Brew, a enregistré ses prestations dans un album nommé Heat que Clean Feed nous propose ici en parallèle avec une autre session captée vingt ans plus tard, Between Reflexions. L’occasion de constater une continuité et une affirmation des directions empruntées au siècle passé.

Ainsi « Glyph in The Rainfail », avec l’attaque très puissante de Workman à la contrebasse, est un morceau emblématique de 1999 : les débordements électroniques de Hemingway viennent se mêler avec beaucoup d’à-propos à un koto volubile et capable de chercher des timbres inédits. Plus loin, l’archet de la contrebasse offre un contrepoint parfait à Masaoka. On avance dans l’inconnu, mais il semble que le trio nous offre une boussole ; même constat dans le nouvel enregistrement avec « Sun Shadow » qui débute par un koto qui marche à pas comptés dans les fragments d’une batterie déconstruite. Tout est abstrait ici, soumis à des sensations élémentaires qui se plient aux caprices du son. Avec « Evening », c’est même le chant fardé d’électronique d’Hemingway qui accueille une contrebasse bondissante.

La musique de Brew est une expérience qui se passe de repères coutumiers. D’autant plus lorsque ceux-ci ont vingt ans d’écart : de « Heat » et son jeu de cordes comme autant de chemins sinueux que fusionnent des tambours rageurs, jusqu’à « One For Walt Dickerson » où Hemingway est passé au vibraphone et Masaoka à l’électricité, il semble que cette musique est un tout intemporel où la finesse est la seule règle tangible. Avec la liberté.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 janvier 2024
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