Scènes

Danish Music Award Jazz, les yeux fermés

Soirée de remise des prix danois du jazz à Aarhus


Chaque année, Jazzdanmark, le bras armé du jazz danois, organise la cérémonie de remise des prix DMA Jazz lors d’une soirée festive et complète qui fait salle comble.

Soirée des DMA avec la présentatrice Jeanett Albeck et la fanfare Bjarke & the Beerbellys © Camilla Gammelgaard

Pour faire partie du jury, Jazzdanmark lance une consultation et sélectionne 7 personnes, liées au jazz danois en particulier ou au jazz en général. Cette académie doit choisir le meilleur disque, le.a meilleur.e compositeur.trice, le meilleur disque expérimental, le meilleur disque vocal, le titre de l’année et le meilleur nouveau talent. D’autres prix sont attribués par des collèges séparés, comme le prix du meilleur disque crossover et le prix jeune public.

Cette année, représentant Citizen Jazz, j’ai eu le plaisir d’être membre d’un jury composé également de Morten Haxholm (bassiste), Johannes Gammelgaard (saxophoniste), TS Høeg (auteur et saxophoniste), Fimmer Engell (productrice au DR Big Band), Anja Jacobsen (multi-instrumentiste et chanteuse), Atsuko Yashima (productrice Eight Islands – Japon).

A nous sept, il fallait alors écouter 179 disques pour n’en choisir qu’un par catégorie.

Grâce à cet anonymat ingénieux, aucune information autre que la musique elle-même ne vient perturber notre jugement.

Le système mis en place par Jazzdanmark pour ce Danish Music Award Jazz est tout à fait exemplaire à défaut d’être parfait.
D’abord ce ne sont pas les membres de l’académie ou les productions qui choisissent et proposent les disques du panel. Ce sont les musicien.ne.s qui décident de concourir et qui vont alors envoyer leur musique sur la plateforme dédiée. Grâce à ce système, toutes les esthétiques jazz du royaume sont représentées.

Ensuite, les membres du jury reçoivent l’adresse d’un site internet sur lequel les 179 disques ont été chargés de façon anonyme. Le site est conçu de telle façon que chaque disque porte un numéro générique (et ses pistes sont déclinées XXXX-1 ; XXXX-2, etc…).

Grâce à cet anonymat ingénieux, aucune information autre que la musique elle-même ne vient perturber notre jugement. Aucune influence extérieure n’entre en jeu. Chaque disque est à égalité avec les autres. Cette égalité est à l’image de la société danoise qui place très haut ce principe universel.

Enfin, avec un système de notation par points (de 1 à 5), le jury a établi des sélections de plus en plus resserrées jusqu’à une liste de 5 nominé.e.s par catégories. Là, nous avons définitivement voté pour les noms gagnants. Simple, efficace, et le procédé a commencé le 8 juillet pour se terminer le 3 novembre.

Le secret bien gardé, c’est à Aarhus, la seconde ville du Danemark, que la soirée s’est déroulée.
Dans l’immense et moderne Musikhuset de la ville, 1500 personnes ont assisté en direct à la soirée, retransmise à la radio et filmée pour une mise en ligne ultérieure. Deux heures de cérémonie emmenée avec énergie et humour par la comédienne burlesque Jeanett Albeck. Bien que ne comprenant pas un mot de danois, certaines séquences explicites m’ont laissé entendre que l’humour caustique, l’autodérision et le sarcasme à l’encontre des propos sexistes étaient clairement assumés par la production. On est loin de la servilité fate de certaines remises de prix hexagonales…

Entre les remises de prix, des groupes danois représentatifs de la scène actuelle se produisaient – un morceau à la fois. On a pu entendre le trio Bévort 3 avec la saxophoniste Pernille Bévort au sax ténor, solide. La fratrie Døssing, des musicien.ne.s d’Aarhus en quintet, un joli duo Gilad Hekselman (g) et Lilly (voix), un trio punk-jazz puissant et sans manière, Smag På Dig Selv, à suivre de près et, avec l’orchestre de jazz d’Aarhus (dirigé par Nikolai Bøgelund), un titre chanté par Teitur Lassen et trois autres par une star danoise, Gitte Hænning, résidente allemande, qui ressemble à Muriel Robin et qui chante comme Johnny Hallyday. Surprenant.

Jazzdanmark a également décerné deux dotations spéciales pour le musicien Kjeld Lauritsen et le groupe de l’année Bévort 3 (20000 et 30000 couronnes) ainsi qu’un prix pour la meilleure performance scénique Apollonian Circles, par Hess Is More.
Le prix du Jazz pour enfants a été décerné – par des enfants - à Casper Mikkelsen & En FanJAZZtisk Trommerejse.

Annonce du disque expérimental de l’année © Camilla Gammelgaard

Cette année 2022, parmi les différentes catégories de prix, il y avait un nom qui revenait très régulièrement, celui du pianiste Jeppe Zeeberg. Que ce soit comme compositeur et membre de l’orchestre déjanté Horse Orchestra ou sous son nom avec son magnifique album Conventional, il était nommé dans toutes les catégories possibles (sauf le jazz vocal et le nouveau talent, logiquement). Il va monter sur scène trois fois pour recevoir les prix suivants
- Disque Expérimental de l’année : Conventional par Jeppe Zeeberg (autoproduction)
- Compositeur de l’année : Horse Orchestra avec The Milkman Cometh (autoproduction)
- Titre de l’année : Horse Orchestra avec “Montag ist vielleicht der lustigste Tag” (autoproduction)
- Le prix du disque de jazz vocal revient à l’orchestre très coloré et très bien arrangé Tone of Voice Orchestra pour Tone of Voice Orchestra (Stunt / Sundance)
- Le prix du disque de jazz de l’année est décerné à Jeppe Gram pour The Doldrums (Storyville)

La morale de cette histoire, c’est qu’avec une sélection à l’aveugle, on ne peut pas tricher. Impossible de pousser un album en avant par copinage. Et si la musique de Jeppe Zeeberg est primée trois fois, c’est qu’elle touche énormément de monde. (Et la deuxième morale c’est que des disques auto-produits et vendus sur Bandcamp peuvent remporter des prix nationaux !).

Le jazz danois est vif et dynamique, vous pouvez creuser le filon en lisant le dossier consacré à cette scène, régulièrement mis à jour au fil des nouveaux articles.