Dell Lillinger Westergaard

Faisant logiquement suite à Grammar paru en 2013 sur le label Gligg Records, ce deuxième volet est signé par le trio que conduit le vibraphoniste allemand Christopher Dell. Toujours entouré du contrebassiste danois Jonas Westergaard et du batteur allemand Christian Lillinger, il prolonge les expérimentations que cette scène nord-européenne mène avec une obstination fructueuse (voir en cela l’interview de Lillinger sur CJ). La volonté d’abstraction est clairement énoncée et le rejet radical des fonctions traditionnelles des voix instrumentales participe d’un exercice inouï de la pratique musicale.

Enregistré dans les conditions du live en deux longues suites de deux parties chacune, on y entend une forme de pointillisme sonore où chaque intervention semble posée à côté de l’autre, sans lien apparent entre elles. Sans recherche d’opposition, cette volonté d’apposition ne crée donc pas de tension particulière et dans cette immobilité apparente (à laquelle la monochromie timbrale du vibraphone ajoute un effet supplémentaire) provoque même des sentiments ambivalents sur la perception humaine.

Dans un premier temps, l’apparente dissociation des faits musicaux intéresse par son audace articulatoire, comme un phrasé dans lequel il manquerait des mots. A la longue, elle finit pourtant par conduire l’attention de l’auditeur dans un état de torpeur et de distraction, qui n’est pas déplaisant au demeurant. On écoute mais on n’est pas là. L’esprit divague.

Perdu dans ses pensées, on retourne soudain à une écoute active lorsqu’un maelström abscons mais jouissif nous accapare. On découvre alors un groove incompréhensible qui saisit. La pratique des musiciens est passé de la concentration gestuelle la plus retenue à un lâcher-prise bizarre, à la fois extrêmement contenu et parfaitement libérateur. L’émancipation par la contrainte en quelque sorte, l’exultation du corps par la transcendance de l’esprit. Expérimental, avant-gardiste, les mots font peur ; la musique, elle, est à découvrir.