Scènes

Papanosh Loves You at Home au 106


Un double plateau et deux sorties d’albums. Plus que jamais, le collectif des Vibrants Défricheurs sait fixer les rendez-vous qu’il faut à son public seinomarin qui les suit fidèlement. Que ce soit dans des lieux hors du commun ou dans la salle institutionnelle de la SMAC rouennaise, la recette est la même : générosité et simplicité, proximité et partage. Un exemple encore ce soir-là au 106 avec You et Papanosh, deux extrémités d’un même cercle qui mélange allégrement île de la Réunion, Bolivie, Suède et New-York avec un liant dont seule cette petite bande de joyeux Normands a le secret .

Si de nombreuses personnes dans la salle pleine venaient en priorité assister au retour de Papanosh, galvanisées par le récent témoignage de leur session avec Marc Ribot et le désormais incontournable Roy Nathanson, le trio You, mené par la batteuse Héloïse Divilly, avait de quoi faire impression. Originaire de la Réunion, Divilly a su se construire un univers très insulaire depuis son arrivée en métropole, fait d’échanges multiples et d’une forme de mystère poétique. Basé sur des textes qui peuvent passer du créole à l’anglais voire au suédois, You aime les rythmiques impaires mais tout autant la simplicité et la raucité du rock ; bondissent sur les tambours des réminiscences de Joplin ou de Radiohead, mais surtout une sacrée énergie bien canalisée par la guitare intarissable de Guillaume Magne, absolument remarquable dans ce concert. Pour la voix, si Héloïse Divilly participe parfois, c’est Linda Oláh, remplaçante de l’habituelle Isabel Sörling, qui porte les chansons. Le style est différent et colore You d’une autre manière. Avec Sörling, le ton était folk. Linda Oláh quant à elle apporte une touche plus sombre mais aussi plus profonde. Le disque est riche, mais You est de ces groupes qu’il faut absolument voir sur scène, pour l’énergie déployée.

Héloïse Divilly © Franpi Barriaux

L’énergie, Papanosh en a également à revendre. On l’a compris : Home Songs, leur dernier disque en forme d’escapade new-yorkaise, est le hors-d’œuvre d’un projet que le quintet va développer dans la durée avec Roy Nathanson. On se demande dès le début du concert s’il ne vaudrait mieux pas l’intégrer officiellement comme sixième homme de l’orchestre. Sa relation quasi télépathique avec Raphaël Quenehen et Quentin Ghomari est la mèche lente d’une bombe qui explose durant le concert : autant dire que les heureux Normands présents ce soir-là ont vécu des moments de lévitation et de jubilation. Les trois soufflants frottent, s’escagassent comme dans la bonne vieille tradition d’un hard-bop un peu rugueux qui ne s’endormirait pas sur ses lauriers. Poussé par une rythmique étonnante, où les claviers de Sébastien Palis se font percussifs aux côtés de Jérémie Piazza et Thibault Cellier, Papanosh va chercher le point de fusion avec l’élégance débraillée et universaliste qui les caractérise.

Papanosh © Franpi Barriaux

Sur scène, le nouveau venu donne de la voix. Le rappeur et beatboxer de Cincinnati Napoleon Maddox est là pour annoncer un nouveau tournant dans ce Home Sweet Home, avec une prise en compte peut-être plus forte du contexte politique et social. Home, la maison, est une quête universelle et intime qui peut prendre plusieurs forme. Des voix enregistrées avec l’aide de l’ASTI [1] en région parisienne jusqu’aux diatribes de Maddox et Nathanson, Papanosh prend une dimension supplémentaire, quelque chose de puissant et de foncièrement inéluctable, pour peu qu’on les connaisse depuis longtemps. En fin de spectacle, comme pour perpétuer la fête, Linda Oláh vient chanter « K’arallanta » avec Papanosh, en duo avec un Napoleon Maddox qui se révèle excellent crooner. On aurait eu envie que ça ne s’arrête pas.

par Franpi Barriaux // Publié le 13 mai 2018

[1Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés.