Chronique

Lucia Cadotsch

Speak Low II

Lucia Cadotsch (voix), Otis Sandsjö (sax), Petter Eldh (b) + Lucy Railton (cello), Kit Downes (ham org)

La chanteuse suisse et berlinoise à la diction tranchante et posée revient à la charge avec le second volet de Speak Low, son trio fétiche, pour une nouvelle série de standards sur le fil.
À peine estompée (après quatre ans) la chair de poule dont l’écoute du premier volume avait provoqué l’éruption, voici de nouveau une charge émotionnelle positive qui vient marquer quelques synapses au fer rouge.

La principale qualité de Lucia Cadotsch, c’est la force sincère de sa diction et de sa justesse.
Quoi qu’elle chante, on y croit. Sur ce disque, des standards signés Ellington, Newman, Burke, Eno ou Weill pour ne citer qu’eux. Un extrait du Berliner Requiem de Brecht / Weill, « Ballade vom ertrunkenen Mädchen (Ballad of the Drowned Girl) », composé en 1928 et plus ou moins dédié à Rosa Luxemburg, n’est pas là par hasard. Le trio est augmenté sur ce titre du violoncelle de Railton et de l’orgue de Downes pour une version que Lotte Lenya ne renierait pas.
En fin d’album, une autre version du standard « Speak Low » (encore signé Kurt Weill), puisque le projet porte encore ce nom. Plus lente, plus posée que celle de l’album précédent. Plus mature sûrement, le temps passe, on baisse la voix, on prend son temps. Mais tout aussi nostalgique, ce thème est presque narcotique.

Les paroles des standards (un choix souvent politique et loin d’être innocent) sont la colonne vertébrale de ce projet. Et pour leur donner toute la force incarnée que Cadotsch maîtrise, les chansons sont effilées jusqu’à l’os. Il ne reste qu’une structure nue, le texte et son rythme.
C’est alors que la magie opère.
Le saxophone de Otis Sandsjö, quasiment en souffle continu, souffle des volutes ininterrompues qui viennent habiller d’un halo évanescent la mélodie. Il tourne autour, s’enroule et finit par provoquer un effet de transe. Ce souffle chaud et permanent se marie avec la voix droite et objective de la chanteuse. Alors, pour ne pas perdre le fil dans un brouillard sonore, la contrebasse de Petter Eldh est là pour marteler, claquer et tapoter tout autour, comme un aveugle se sert de sa cane, dirigeant avec certitude et sûreté le trio d’un bout à l’autre de la chanson. Il en résulte une ambiance très particulière, extrêmement contrôlée d’une part — Lucia Cadotsch retient sa voix — et un abandon lascif de toute structure harmonique, comme si la musique flottait, là, devant nos yeux incrédules.
Lucia Cadotsch n’en finit pas de marquer un territoire personnel très défini, et ses accointances artistiques sont des plus prometteuses. Son duo avec le clavier Kit Downes (ici invité sur trois titres à l’orgue), avec lequel elle reprend un répertoire de standards, est tout aussi fantastique. Et le flair d’avoir su, très tôt, exploiter l’alchimie tout particulière de la paire Sandsjö-Eldh pour porter ses mots fait montre d’une intelligence opportune à saluer.

Nul.le ne s’étonnera que ce projet soit produit par le label We Jazz, toujours sur les bons plans. On trouve d’ailleurs, pour les passionné.e.s, une version en vinyle de ce disque, dont une galette pourpre en tirage limité sur la page bandcamp du label.