Scènes

Jazz à Dissay, la vie de château

Une seconde édition pour ce festival poitevin et châtelain.


Dissay est une petite commune sur la route de Saintes à Poitiers, à une vingtaine de minutes de cette capitale régionale. Elle abrite un château fort très bien restauré dans la cour duquel se déroule pendant cinq jours un petit festival soutenu fortement localement avec une programmation de niveau international, imaginée par Armand Meignan.

Rhizottome © Soleil d’encre

Avec ses quelque 3000 habitants, en périphérie de Poitiers, rien ne prédisposait Dissay à abriter un festival de jazz de cette envergure. Mais c’est compter sans la combinaison fortuite de quelques éléments essentiels à la réalisation de ce type de miracle.
D’abord un maire, Michel François, entreprenant et surtout musicien, qui décide d’engager sa commune dans l’aventure. Avec un financement de près de dix mille euros, c’est la preuve intelligente qu’un festival coûte souvent moins qu’il ne rapporte en retombées directes et indirectes. Le reste du budget est assuré par la communauté urbaine du Grand Poitiers, le département de la Vienne et le Château de Dissay.
Ensuite, une association Jazz86, structure porteuse qui sait mobiliser un nombre impressionnant de bénévoles compétent.e.s et enthousiastes. Tous les postes (administration, production, accueil, communication) sont assurés et le festival ne diffère en rien des grands rassemblements nationaux en terme d’organisation.
Enfin, l’implication en tant que programmateur d’Armand Meignan (Europa Jazz, Les Rendez-vous de l’Erdre, etc) permet au festival de s’offrir des têtes d’affiches autant que des musicien.ne.s plus locaux.ales.
Ajoutons également la société qui gère le château (qui fait aussi hôtel, restaurant, spa, etc…) et qui s’offre une vitrine de premier plan en ouvrant la cour d’honneur à la scène du festival, permettant ainsi une vue inégalable de la scène comme du public.

Ces éléments réunis, le festival, en 2022, a pu proposer une rencontre entre le groupe Le Peuple Étincelle (sous l’égide du saxophoniste François Corneloup) et la Banda de Dissay, histoire de confronter les genres.
Le concert du quintet de Michel Portal avec Bojan Z, Nils Wogram, Bruno Chevillon et Lander Gyselinck s’est produit le soir, veille du lever de soleil sur la plage en bord de rivière, de François Corneloup.

Le samedi, c’est le duo Rhizottome (bien connu des lecteur.trice.s du magazine pour leur carnet de route au Japon) qui se produit en ouverture de la double soirée.
La nuit n’est pas entièrement tombée que les ritournelles dansantes du duo saxophone sopranino (Matthieu Metzger) et accordéon (Armelle Dousset) s’envolent et s’enroulent dans les airs. Il fait beau, les lumières sont belles et mettent en valeur le bâtiment. L’osmose harmonique est parfaite, les deux musicien.ne.s jouent ensemble depuis très longtemps. L’équilibre est fin, entre l’accompagnement et les soli, de cette musique originale qui est la leur. Chaque morceau est annoncé comme une danse spécifique, mais les 150 personnes du public restent assises. Pourtant, ce mélange de danses et d’improvisation, fait de bourrées, de polkas, de valses s’y prête parfaitement.

Daniel Humair © Soleil d’encre

Cette belle introduction enroulée laisse place au trio Helveticus du batteur Daniel Humair. Du haut de ses 84 ans, le légendaire batteur, qui marche précautionneusement, peut paraître affaibli par les années. Tout cela n’a plus cours une fois le musicien assis derrière ses fûts. Le concert sera une grande dose d’humour et de plaisir, avec une qualité sonore parfaite et une attention soutenue de la part du public. Samuel Blaser au trombone et Heiri Känzig à la contrebasse vont enchaîner sous l’impulsion du batteur des compositions, des vieux standards de la période New Orleans, (Daniel Humair dira que si certaines personnes s’activent pour préserver les légumes anciens, eux le font pour les standards anciens) mais aussi « Les Oignons » de Sidney Bechet et du folklore suisse, comme « Guggisberg Lied » ou l’hymne national de la Confédération. Un savant pot-pourri prétexte à de la belle musique et surtout beaucoup d’interaction maligne. L’humour prédominant de ce concert semble être le secret de jouvence des musiciens.
Le lendemain, c’est Louis Sclavis (spectateur attentif du trio Helveticus) qui jouera au lever de soleil de 8 heures avant le dernier concert de clôture, celui du sextet Louise d’Émile Parisien avec Théo Croker et Nasheet Waits.
Un festival d’envergure internationale, donc.

Il ne reste qu’à souhaiter à la ville de Dissay et à son château de trouver les ressources et l’énergie nécessaires pour parfaire les prochaines éditions, en profitant d’un lieu aussi incroyable que cet édifice historique, résidence des évêques de Poitiers jusqu’à la Révolution. Ce qu’on peut dire, c’est que ça commence bien.

par Matthieu Jouan // Publié le 24 juillet 2022
P.-S. :

En discutant avec les musiciens, je découvre que la soirée est étrangement reliée à Rahsaan Roland Kirk.
Sur le prochain disque de Samuel Blaser, il y a Steve Turre qui joue de la conque, instrument qu’il a découvert lorsqu’il était dans le groupe tardif de Roland Kirk. Et Daniel Humair a accompagné Kirk lors de ses premiers séjours en Europe. De plus, « Les Oignons » de Bechet est un thème cher au saxophoniste américain qui le jouait souvent sur scène. Enfin, il n’y a qu’un spécialiste de Roland Kirk comme moi pour se rendre compte de tout ça !