Festival Sim Copans à Souillac
40e anniversaire. Trois soirées au pied de l’abbatiale Sainte Marie
En trois belles soirées, du 23 au 25 juillet 2015, et de nombreuses autres manifestations, Souillac a fêté les quarante ans d’un festival qui résiste avec bonheur.
Il faut espérer que les jeunes générations se demandent qui est ce Sim Copans (1912 – 2000) dont le festival de jazz de Souillac (46) porte le nom, et qui a participé à sa fondation en 1976, après en avoir été la cause, suite à une conférence sur le jazz retentissante prononcée en 1975. Qu’il n’existe pas de fiche Wikipédia à son nom est proprement scandaleux, alors même que la ville de Souillac (Sim Copans a résidé dans le Lot à partir de 1963, voir une biographie ici) abrite la plus grande partie de ses archives personnelles, textes inédits, disques, conducteurs d’émissions de radio, livres, magazines, etc.
On y reviendra. Car entre la fin de la guerre et l’année de sa disparition, Sim Copans fut, au propre comme au figuré, une véritable « voix de l’Amérique » concernant les musiques afro-américaines, en particulier les musiques vocales (blues et gospel) et les chants de révolte (« protest songs »). Ignorant tout – ou feignant d’ignorer – des clivages provoqués par la querelle des anciens et des modernes amorcés entre autres par Hugues Panassié, le voisin de Montauban (82), il a occupé une place de survol bien utile à qui veut regarder l’histoire du jazz en France avec une certaine sérénité.
Sous l’aile protectrice d’un tel sage – il avait aussi une voix très, très douce et l’on sentait chez lui l’effet apaisant des véritables humanités –, le festival de Souillac a toujours été « à dimension humaine », comme dit Henri Texier, soucieux de rester proche de ceux qui en sont les auteurs et les fidèles, et attentif à donner de la musique de jazz une image équilibrée entre innovation, risques et souci de la tradition et du rassurement. L’abbatiale Sainte-Marie-de-Souillac, qui accueille les concerts du soir dans son pourtour pour peu qu’il fasse beau, fait le reste. Et les musiciens aiment beaucoup se trouver là, où ils sont attendus par une équipe entièrement bénévole (pas un seul salarié, un exemple quasi unique en France pour un festival de ce calibre), et un public formé au fil des ans à accepter l’art musical dans les dimensions que nous avons relevées.
- Robert Peyrillou et les bénévoles de Souillac. Photo P. Méziat
Le repas de midi, dans le cloître attenant à l’abbatiale, est le moment-clé du déroulement du festival, et il faut y avoir assisté pour comprendre comment fonctionne cette association assez unique en son genre. Pas moins de 60 bénévoles se réunissent pour prendre ensemble un repas qui a été préparé par quelques-uns d’entre eux, et si l’ambiance est joyeuse - du moins l’était-elle cette année où il faisait beau et où les réservations étaient d’un niveau convenable -, elle est aussi studieuse dans la mesure où, en fin de repas, chacun est invité à s’exprimer à haute voix sur les sujets du jour : nombre de personnes pour installer le back-line, pour l’accueil du soir, pour « craquer » les billets, assurer la préparation du « lunch » qui suivra le concert, etc. Robert Peyrillou n’est pas en reste pour s’exprimer, mais si l’on sent qu’il est bien le « chef » reconnu de cet ensemble de personnes, on saisit bien aussi qu’il sait n’en être qu’un rouage et compte sur les autres pour que la machine tourne. Inutile de dire que les musiciens sentent vite ce côté des choses, et que la beauté des vieilles pierres fait (généralement) le reste. On compte sur les doigts d’une main, en 40 années, les musiciens qui ont laissé un souvenir en demi-teinte.
Mais venons-en à l’édition 2015. Pour fêter le 40è anniversaire, il avait été prévu une rétrospective sous forme d’exposition, conçue par les bénévoles, qu’on pouvait voir à la salle Saint Martin de Souillac jusqu’au 25 juillet. En dehors des trois dernières soirées sur la place Pierre Betz, d’innombrables manifestations, concerts, ateliers, repas champêtres, master-class (Lisa Cat-Berro), lectures (Philippe Fréchet), randonnées jazz nocturne, ont pimenté la semaine. La même Lisa Cat-Berro a joué en duo avec Isabelle Olivier dans les grottes de Lacave. Et le Swing Machine Big Band, qui s’était produit en 1976 lors de la première édition, est revenu quarante ans plus tard et a invité Sara Lazarus. Quant aux trois « grandes » soirées, elles ont donné lieu à de belles assistances, et à une sorte d’alto sax « cutting contest » avec dans l’ordre inverse d’apparition Kenny Garrett, Christophe Monniot au sein du Moutin Factory Quintet et Thomas de Pourquery.
Si l’on reprend tout ça par la fin, on partira du plus médiatisé - mais à mon sens le plus surfait des trois - pour remonter vers les plus inventifs, et surtout ceux qui m’ont le plus touché. Kenny Garrett refuse de choisir entre Coltrane et Rollins. C’est bien. Mais il commence par trois morceaux « spirituels » à la mode d’un Coltrane compris de travers, puis casse soudain ce qui commençait à s’installer pour virer vers des pièces façon St Thomas (expressément cité), et finit par attirer le public vers la scène pour faire chanter tout le monde, chanter étant ici une expression bien audacieuse pour désigner un vague chœur basique. Ça fait bouger, ça fait plaisir à qui veut bien jouer à ça, mais ça ne fait guère avancer la cause de la musique. Passons.
- Kenny Garrett fait danser les spectateurs. Photo P. Méziat
Avec le Moutin Factory Quintet, la veille, nous avions entendu une musique plus élaborée sans être inaccessible, basée sur le couple des jumeaux et leur complicité un peu rivale, de belles compositions et des solistes de haut vol : Manu Codjia prompt à s’engouffrer dans les espaces qui lui étaient réservés, Christophe Monniot à la recherche des moyens de contester cette belle mécanique sans la briser. Excellent pianiste, Thomas Enhco m’a ravi par son sens de l’espace, des silences, et une sorte de « swing » intérieur tout à fait emballant. En première partie, le pianiste mauricien Jerry Leonide avait montré toute la science du clavier qui est la sienne et qu’il devra oublier pour passer de l’autre côté, celui de la musique où le savoir n’est pas la vérité.
Quant à Thomas de Pourquery et son Supersonic, il a enchanté les spectateurs présents, et les absents le regretteront longtemps. Enchanté, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’au-delà de ses qualités musicales d’instrumentiste, de chanteur, d’arrangeur, de chef de bande, de Pourquery contient en lui un pouvoir magique, qui tient en partie à la tendresse profonde qui l’habite, et en partie à la capacité qu’il a de la faire partager. Il faut regarder ses mains, qui dessinent souvent quelque chose de rond, de souple, il faut écouter sa façon d’épeler « S-O-U-I-L-L-A-C » lentement, avec douceur et attention. « La force a la douceur ». Rarement cet aphorisme de Nietzsche aura été aussi juste, appliqué à une personne. Soutenu, complété, porté par une bande de joyeux qui sont en même temps des musiciens hors pair (Edward Perraud, Laurent Bardainne, Arnaud Roulin, Frederick Gallay, Fabrice Martinez), il rend plus que crédible le « sound of joy » de Sun Ra, sans chercher jamais à copier un musicien qu’il n’a jamais vu « live ». Thomas de Pourquery et Supersonic, c’est la plus éclatante démonstration que la fête, quand elle est là, est d’abord une fête musicale. Tout le reste, qui vient après, est bavardage.
- Edward Perraud. Photo P. Méziat
Pour finir, nous allons revenir à Sim Copans, qui a donc légué à la ville de Souillac une grande partie de ses archives, disques, livres, conducteurs d’émissions de radio, textes de conférences, notes en prévisions de ses interventions diverses. Passionné de musique afro-américaine, mais aussi de musiques du monde entier et de beaucoup d’autres aspects de la vie et de la culture, il est un maillon important dans la diffusion du jazz en France, ne serait-ce que par sa position de neutralité à l’égard des clivages induits par la querelle Delaunay / Panassié. Tout cela se trouve rangé au premier étage de la bibliothèque municipale de Souillac, dans des conditions convenables sans plus, sans climatisation bien sûr, sans même une petite chaîne pour écouter un disque, et sans aucun moyen d’en exploiter le contenu, notamment par numérisation. La personne en charge du « fonds Copans » travaille à mi-temps, va prendre sa retraite, ne sera pas remplacée. Il faut aussi gérer le « fonds Peyrillou » en voie de constitution, et surtout le fabuleux « fonds Pierre Betz », cet éditeur qui a publié à Souillac, pendant la guerre et dans l’après-guerre, la revue Le Point, dont certains numéros sont très recherchés. Sans compter un dernier fonds de photographies de toute la région, anciennes et magnifiques.
Il semble que les projets de « Jazz Archives » fleurissent aujourd’hui en France. On en connaît un à Nantes (Matthieu Jouan), un en Avignon (Jean-Paul Ricard), un autre du côté du festival de jazz de Vienne, et ils ne sont pas les seuls. Il serait bien que les acteurs de ces différents projets se concertent si l’on veut éviter que tous soient ajournés par manque de moyens, ou qu’ils accouchent de réalisations trop modestes. La notion de « territoire de jazz » se fait jour doucement, et il faut bien reconnaître que certaines régions ont pris de l’avance sur d’autres dans ce domaine. A l’heure de leur reconstruction, il serait bienvenu de repenser tout ça : car, pour ne prendre qu’un seul exemple, le défunt « Centre d’Information du Jazz », dirigé pendant des années par Pascal Anquetil et doté d’une base de données précieuse, aurait besoin lui aussi de renaître.