Chronique

Médéric Collignon

Arsis Thesis

Médéric Collignon (cnt), Yvan Robilliard (kb), Emmanuel Harang (elb), Nicolas Fox (d), Géraldine Laurent (as), Pierrick Pédron (as), Christophe Monniot (ss)

Label / Distribution : Le Triton

C’est une très longue attente qui est récompensée avec la parution d’Arsis Thesis, œuvre totale et inclassable du plus vibrionnant (mais aussi l’un des plus émouvants) musiciens de la scène hexagonale. En 2016, notre regretté confrère Philippe Méziat disait son attachement à Médéric Collignon à l’occasion d’une chronique consacrée à MoOvies, disque haut en couleurs évoquant ses amours cinématographiques et en particulier sa prédilection pour le « cinémâle » américain. Artiste singulier, Colllignon est un musicien de l’ailleurs, un agité du cornet, un tricoteur de cordes vocales, un trafiquant sonore qui aime par-dessus tout inoculer à ses créations une bonne dose de déraison, engendrant de fait une électrisation instantanée de son ailleurs. Miles Davis, Lalo Schifrin et Robert Fripp pourront vous le confirmer…

Très attendu depuis qu’il en évoquait la gestation minutieuse presque jour après jour, Arsis Thesis ne déroge pas à la règle d’une symphonie sui generis, accomplie dans la démesure et portée par cette générosité inconditionnelle qu’on connaît comme étant la marque de fabrique de Médéric Collignon. Sans doute, même, ce dernier n’avait-il pas encore voyagé aussi loin, aussi haut. Car les 65 minutes de cet album unique en son genre sont une sorte de raz-de-marée fusionnel, céleste autant que maritime, prenant la forme et les couleurs d’un opéra jazz ébouriffant aux couleurs électro-magnétiques d’un funk toujours prêt à débouler au coin de la portée. Le tout orchestré dans un vaste marché de samples par celui qui, plus que jamais, se présente en démiurge d’une partition ample et puissante. Comme si tout était possible, y compris convoquer « La Frégate » d’Alfred de Vigny par la voix de son propre fils ou dérouler un chorus à l’envers. Arsis Thesis est un disque-monde, celui de « Médo ». Son Jus de Bocse (Yvan Robilliard, Emmanuel Harang et Nicolas Fox) se tient fidèle au poste, ferraillant dans l’exultation avec un trio de soufflants toujours prêt à livrer battle : Géraldine Laurent, Christophe Monniot, Pierrick Pédron, chacun dans son registre propre exprimant une vie chargée d’émotions multiples qui confèrent à ce grand voyage offert à nos oreilles et à nos cœurs une épaisseur supplémentaire.

Car du cœur, Médéric Collignon en a un, et gros comme ça. Chez lui tout passe par une pulsation / pulsion vitale, comme s’il s’agissait de livrer à chaque fois toutes ses forces dans une réalisation musicale et humaine à la fois. Il y a quelque chose d’inépuisable dans cette douce folie qu’on veut explorer, encore et encore, par un effet de soumission volontaire aux injonctions malicieuses d’un sacré chef d’orchestre. Arsis Thesis est sans nul doute son disque le plus personnel et constitue un moment de musique exceptionnel. Indispensable !

par Denis Desassis // Publié le 19 janvier 2025
P.-S. :