Chronique

Jean-Charles Richard

L’Étoffe des rêves

Jean-Charles Richard (ss, bs), Claudia Solal (voc), Vincent Ségal (cello),

Label / Distribution : La Buissonne / Harmonia Mundi

C’est chose rare qu’un disque de Jean-Charles Richard ; le genre d’objet qui nous fait prendre conscience du luxe. Même si le saxophoniste des confins de l’instrument - un soprano, un baryton - est un coutumier des projets en grand format (avec Jean-Marie Machado notamment) et des collaborations au long cours (avec Christophe Marguet ou Marc Buronfosse), il n’est pas commun de le voir se mettre en avant. Pour tout dire, depuis son très beau solo Faces avec Dave Liebman en mentor, il y a quinze ans, et son trio Traces il y a dix ans, ce n’était guère arrivé. L’Étoffe des rêves, paru sur le label La Buissonne comme une évidence, arrive donc à point nommé, avec une équipe idéale : en plus du saxophoniste, dont on peut apprécier la douceur d’approche sur le beau « Russian Prince » qui emprunte à Moussorgski, on retrouve des fidèles et des orfèvres. Marc Copland d’abord, qui illustre à merveille les couleurs voules par Richard et cet attachement à la musique écrite occidentale. Vincent Ségal ensuite, avec qui le saxophoniste construit « La Lettre d’Isaac Babel », légère ballade en pizzicati. Claudia Solal enfin, qui complète le songe en évoquant l’Ophélie de Rimbaud et Shakespeare. Shakespearien, L’Étoffe des rêves ? Nulle tempête ne saurait le démentir.

Il est intéressant de souligner que l’âme damnée de Hamlet est un personnage qui influence autant nos musiques. Après Ellinoa qui en avait fait un album, c’est à Claudia Solal de se plonger dans ce personnage en clair-obscur, fait de limbes et d’eau, et chargé d’une grande dramaturgie. « Ophélie », qui reprend la première partie du poème de Rimbaud, est le centre de cet album ; on y retrouve à la fois Claudia Solal, dont l’interprétation fait songer à une pièce de coton qui s’effiloche au fil du temps et du vent, pendant que Copland fait courir sa main droite comme un léger ruisseau, guidé par le violoncelle de Ségal. Cette concentration est rare dans un album qui favorise avant tout les relations duales, à l’image de « Desquartes » où le sentiment d’entrer dans l’intimité d’une discussion entre Richard et Copland est forte. Un échange qui convoquerait des figures importante dans l’imaginaire des deux artistes, de Debussy (« Giverny ») à Bill Evans.

Avec ce disque assez court - à peine plus d’une demi-heure : la concision est aussi un atout de la discrétion -, on obtient un portrait très fidèle de Jean-Charles Richard. Celui d’un musicien sensible et friand des arts et de leur histoire, à l’image du très beau « O Sacrum Convivum » qu’il souligne avec la douceur du velours dans une évocation sans décorum de Messiaen en compagnie de Marc Copland. Un portrait kaléidoscopique, mais qui reste cependant très symétrique, où les mots comme la musique marquent un goût pour la douceur et l’harmonie. « L’Étoffe des rêves », doucement susurré par Claudia Solal, en est le manifeste, dans une fin crépusculaire qui laisse forcément la place au baryton (« Weeping Brook »), comme une mélodie intérieure qui perdure dans la nuit, et accompagne un doux spleen. On ne sait pas toujours de quelle fibre est faite l’étoffe des rêves : elle est propre à chacun. Ce qui est certain, c’est que Jean-Charles Richard est de ceux qui savent la tisser.