Entretien

Igor Gehenot et la vie polyglotte

Le piano discursif d’un Liégeois trentenaire

Originaire de Liège, Igor Gehenot est souvent perçu comme une étoile montante de la scène bruxelloise. Il faut dire qu’à seulement 30 ans, le pianiste compte déjà de nombreuses collaborations et une discographie conséquente, incluant quatre albums en tant que leader. Rencontre avec un pianiste qui sait ce qu’il veut.

- Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Igor Gehenot, pianiste de jazz, j’ai 30 ans. J’ai commencé le piano vers 6 ans, avec une mère pianiste. J’avais un attrait particulier pour le boogie et le blues de Ray Charles quand j’avais 10 ans. Puis j’ai étudié un peu avec Éric Legnini au conservatoire de Bruxelles avant de voler de mes propres ailes à partir de mes 20 ans.

- Vos quatre albums en tant que leader sont tous sortis sur le label Igloo Records. Une collaboration qui dure depuis presque 10 ans. À quoi tient cette fidélité ?

Il y a eu comme un coup de foudre, si je puis dire, assez réciproque depuis le début. Les disques Igloo jonchaient mes armoires et, je crois, celles de pas mal de Belges et d’Européens. Donc c’est avec un peu de naïveté que j’avais proposé mon premier trio avec Sam Gerstmans et Teun Verbruggen dès mes 20 ans. Depuis on ne se quitte plus !! Cette fidélité tient dans le fait que je me sens bien chez eux et qu’on peut travailler vraiment en équipe, une équipe d’amis presque. Il y a une confiance réciproque quant aux propositions de projets, ça devient tellement rare d’avoir un label comme ça, à l’ancienne !

- Il semble que le quartet soit devenu un vrai groupe, plutôt que le projet d’un leader et ses musiciens. Comment travaillez-vous ensemble ?

Ça reste quand même le cas, car je m’occupe encore de la partie « fonctionnelle ». Mais au niveau musical, c’est sûr que ce quartet évolue ensemble et dans une même direction. Nous avons enregistré le dernier album Cursiv en Bretagne dans le studio d’Alex Tassel, par exemple. Alex m’a aidé à me « décomplexer » par rapport à la composition, à un moment où j’en avais vraiment besoin. Viktor Nyberg, le contrebassiste du groupe, sans faire de lieu commun, est un vrai métronome, tant au niveau du jeu que de sa vision de la musique. On pouvait jouer des heures et lui continuait à pratiquer à l’archet sur un rythme à 30 bpm à une heure du matin ! Jérôme Klein, le batteur, nous a proposé plutôt des grooves différents et il a une vision de pianiste sur ma musique, ce qui m’importe beaucoup.

J’adore Bruxelles parce que notre capitale est un carrefour de l’Europe : ici les jazzmen parlent anglais, français, italien, hollandais.

- Après 2 albums en trio, vous semblez privilégier des formations un peu plus grandes. Vous aviez fait le tour du format à trois ?

Disons que j’avais envie de nouvelles expériences et j’ai adoré pouvoir inviter des musiciens de partout en Europe pour élargir ma vision de la musique en général. Ceci dit, quand je réécoute cette formation, ça me donne toujours des envies de recomposer pour un trio.

Igor Gehenot

- Comment se réinvente-t-on dans la création d’une musique centenaire comme le jazz ?

Je crois qu’on doit être « aware » de ce qu’il se passe, des musiques actuelles, et d’essayer d’en faire une espèce de « pot belge » bien à nous, d’essayer de marquer son identité sonore, d’être honnête avec ce que l’on fait... C’est du boulot tout ça...

- Le choix de s’installer à Bruxelles est-il stratégique, dans un pays aux zones bien définies ?

J’adore Bruxelles parce que notre capitale est un carrefour de l’Europe : ici les jazzmen parlent anglais, français, italien, hollandais. C’est une vraie métropole culturellement riche ! J’anime la jam session du jazz club le Sounds, tous les lundis, et chaque semaine, nous avons des surprises, des nouvelles têtes... c’est très rafraîchissant et personnellement ça me donne du boost.

- Comment se porte la scène jazz en Belgique ?

Jusqu’au confinement, je crois qu’elle n’a jamais été aussi bonne. Elle ne se cantonne pas qu’à un style et trouve son bonheur là-dedans. Des festivals fleurissent, le public de plus en plus au rendez-vous (la Jazz Station à Bruxelles en est un bel exemple). Je crois que du free jazz au funk en passant par le bebop et le trip-hop, chaque musicien belge a l’opportunité de trouver sa voie avec, certes, pas toujours avec des moyens faramineux, mais on se débrouille... c’est ça aussi la Belgique.

- Comment est née l’idée d’une collaboration avec David El Malek ?

Je voulais un profil de saxophoniste particulier, je connaissais Alex Tassel et son timbre fantastique, il fallait du coup quelqu’un qui « blend » avec lui. Je me suis renseigné pendant quelques mois puis un jour Alex m’a proposé David, avec qui il venait justement d’enregistrer chez lui avec Pierre de Bethmann. Je me suis intéressé à lui et notamment à son disque en quartet avec Baptiste Trotignon, Darryl Hall & Dré Pallemaerts. Je suis devenu fan et il est venu enregistrer avec nous ! Sans aucune répétition et avec toutes ses premières prises impeccables. Un grand monsieur !

- Comment avez-vous vécu cette période de confinement ?

Un peu en double teinte. D’un côté le fait de se retrouver, de se reposer, de prendre le temps de pratiquer son instrument et de cuisiner était presque salutaire pour moi. D’un autre côté, aller voir des concerts pour pouvoir s’inspirer et partager des moments autour d’un verre entre amis me manque terriblement. Les concerts en streaming, ce n’est pas la même chose... Une chose est sûre, tout le monde se souviendra de 2020 !

- Quels sont les projets ?

Pour l’instant j’ai donc mon principal projet, Cursiv, avec lequel, je l’espère, nous pourrons vite recommencer à tourner !
J’ai un projet d’album avec le pianiste toulousain Amaury Faye en duo.
Je suis sideman sur le nouveau disque du guitariste Fabrizio Graceffa, qui est particulièrement bien réussi ! Un projet solo commence à germer dans ma tête tout doucement aussi…