Scènes

Brussels Jazz Weekend, du jazz pour Toots

Trois jours de jazz dans la capitale du Royaume de Belgique, presque 150 concerts gratuits.


La ville de Bruxelles a le grand avantage d’être à taille piétonne. Contrairement à Berlin, on peut passer d’un quartier à l’autre en quelques enjambées. Et il en faut pour couvrir ce festival qui se répand dans toute la ville et même au-delà.

Scène de la Grand Place © David Ducon / BruJazzWe

Organisé par Jazz Projects asbl avec le soutien de la Région de Bruxelles-Capitale, de la Ville et des fédérations Wallonie et Flandres, le Brussels Jazz Weekend (BruJazzWe) mobilise de nombreux sponsors et un grand nombre de structures, en premier lieu, les bars, cafés et salles de concerts du territoire.
L’office de soutien touristique Visit.brussels a généreusement invité Citizen Jazz pendant ces trois jours de festival, y compris à l’exposition Toots 100, qui célèbre le 100e anniversaire de Toots Thielemans, probablement le musicien de jazz belge le plus international.

Le festival se déroule donc pendant trois jours, dans la ville et quelques communes limitrophes. Quatre scènes thématiques en plein air, sur quatre places emblématiques, présentent la programmation officielle, concoctée par Lynn Dewitte et Tony Lemarinel.

La Grand Place, bien sûr, dont la scène fait face à l’Hôtel de Ville et qui ravit les musicien.ne.s qui y jouent, est consacrée aux hommages à Toots Thielemans, comme d’ailleurs l’ensemble du festival. Par beau temps, cette place se remplit d’un public nombreux, venu écouter le jazz classique du guitariste belge Philip Catherine, du Brussels Jazz Orchestra, du Jazz Station Big Band ou de l’harmoniciste réunionnais Olivier Ker Ourio pour ne citer qu’eux.

Martin Salemi Daylight © David Ducon / BruJazzWe

Le dimanche, la tradition veut que cette même scène soit programmée par les Lundis d’Hortense, la fameuse structure de diffusion de jazz belge. La programmation de cinq groupes donne la part belle aux expériences, comme avec le trio Manuel HermiaValentin CeccaldiSylvain Darrifourcq, le projet Toots Thielemans Revisited ou l’URBEX d’Antoine Pierre. Le dimanche pluvieux a été une petite gageure comme toujours dans les évènements en plein air, mais la pluie a fini par s’arrêter (pile au moment où le trio Hermia-Ceccaldi-Darrifourcq commençait à jouer le terrible et efficace « Les Flics de la police »… un signe ?).

Place de la Chapelle, au pied du quartier des Sablons, on trouve la scène dédiée aux jeunes découvertes locales (dont le dispositif Brussels Jazz Alert permet un suivi mensuel). Même si la configuration de la place n’est pas idéale pour le son, l’ambiance y est plutôt bonne, de grandes tablées face à la scène permettent de manger et boire en écoutant les groupes, en convivialité et en belgitude… Parmi les groupes, on retiendra l’énergique Lũpḁ Gang Gang Quartet et le jazz électrique de KASSIUS.

Place de la Chapelle © David Ducon / BruJazzWe

Sur la Place Sainte-Catherine, c’est le blues, le Dixieland et le jazz manouche qui s’expriment, autant dire que le public n’est pas le même, sauf peut-être quand le groupe de blues trash Boogie Beasts enflamme la place.

Enfin, place de la Bourse, une scène ronde en forme de kiosque à musique est dédiée au swing de toute sorte. En premier lieu les big bands à faire danser comme le The Hop’sh Bam Connection de la trompettiste Marie-Anne Standaert ou la flûtiste Esinam et son groupe de trip-hop swing.

Bien que bruyante, cette place très centrale est idéalement située au carrefour des chemins qui mènent aux concerts « indoor », les dizaines de propositions offertes par les bars, clubs et salles de la ville.

Ainsi, impossible de fréquenter la grosse trentaine de lieux qui propose simultanément des concerts dans la ville, mais quelques-uns méritent une attention particulière. Si l’on met de côté les deux salles jazz habituelles, la Jazz Station et le Sounds Jazz Club (les ateliers Claus étaient fermés pendant ce week-end), on a pu écouter de belles choses à l’Archiduc, le repaire du chanteur Arno, une salle mythique où jouait NØ Steam, un projet funk dans la lignée du Groove Gang, avec Dj Grazzhoppa et Igor Gehenot. On a assisté à une explosion de sons à l’Archipel, avec un trio de cogneurs composé de la saxophoniste Audrey Lauro, du guitariste Giotis Damianidis et du batteur Balázs Pándi, un régal. Dans l’immense salle de l’AB (pour Ancienne Belgique), c’est le groupe belge (une signature Igloo Records) Flat Earth Society qui fait balancer les têtes. Au tuba, la joueuse de serpent déjà remarquée au festival de Saalfelden, Berlinde Deman et surtout dans les rangs de cet orchestre, le batteur Teun Verbruggen et le trompettiste Bart Maris. Réjouissant.
D’autres petits bars, comme le Bonnefooi ou le Roi des Belges, étaient bien pleins de monde pour des concerts de découverte. La scène à l’intérieur des halles Saint-Géry semblait un havre de paix au milieu de l’agitation nocturne, car passé une certaine heure, les rues du centre se remplissent d’une faune pleine d’énergie et pas forcément venue pour les concerts de jazz. Peu importe, il y a de la place pour tout le monde et assez de bière. On est à Bruxelles quand même.
En journée, on croise aussi les fanfares qui animent en parade les rues du centre.

Ces trois jours de musique et de marche sont autant de plaisir à écouter le jazz qu’à visiter la ville, dans son aspect le plus festif.

Des milliers de personnes, locaux et touristes, se pressent dans la ville pour ce festival entièrement gratuit et si l’organisation doit réunir un budget global de 600 000 € pour le festival « in », les retombées financières sont évaluées à plus de 40 millions d’euros, essentiellement en brasserie, restauration et hôtellerie, plus le tourisme et les dépenses culturelles. En Belgique comme en France, la culture ne coûte pas : elle rapporte, et beaucoup. C’est ce qu’a bien compris l’association avec ce BruJazzWe dont c’était la 5e édition. Un festival qui succède au fameux et historique Brussels Jazz Marathon avec les mêmes objectifs et le même succès.

Mais l’édition 2022, dédiée à la mémoire de Toots Thielemans ne se termine pas sans une visite à l’exposition que la Bibliothèque Royale de Belgique (KBR) lui consacre. Intitulée « Toots 100. The Sound of a Belgian Legend » cette exposition est réalisée par Hugo Rodriguez et Vanessa Braekeveld de la KBR et Géry Dumoulin du Musée des Instruments de Musique, un endroit magnifique qui vaut à lui seul le détour.

L’exposition se déroule sur plusieurs grandes salles et grâce à un passage entre la bibliothèque et le palais adjacent, se poursuit dans les appartements du Palais de Charles de Lorraine, ce qui donne un écrin tout particulier à la scénographie. Beaucoup de documents, disques, courriers, affiches et photographies concernant Toots Thielemans sont exposés et mis en valeur par une habile scénographie. Muni d’un casque, on peut écouter tout le long des extraits de musique ou d’entretiens. Les espaces séquencent la vie et la carrière du musicien, en s’attachant à mettre en avant la facilité avec laquelle il a mené une vie internationale, ses nombreuses apparitions, ses compositions et sa vie personnelle. On y croise Charlie Parker, John Lennon, Johnny Hallyday, on y découvre des pépites musicales ainsi que quelques objets personnels émouvants. Même la question raciale concernant les Noirs-Américains des années 50 et 60 est posée en fin d’exposition, Toots ayant à ce sujet une attitude peu claire. Enfin, cette magnifique exposition se termine par quelques portraits du musicien, dont un magnifique dessin de Pieter Fannes, collaborateur de Citizen Jazz et dessinateur belge. Une conjonction impeccable. Cette passionnante exposition dure jusqu’au 31 août 2022.