Scènes

Flagey fait le plein de jazz

Le Brussels Jazz Festival dure 10 jours et les salles sont pleines.


Maarten Van Rousselt peut se réjouir : cette année, le Brussels Jazz Festival qu’il programme à Flagey est revenu au format habituel d’une dizaine de jours, répartis entre le 11 et le 20 janvier 2024. Après le Winterjazz de Cologne et le festival de Münster, c’est le troisième festival de l’année, et nous ne sommes que le 12 janvier !

Casimir Liberski © Pieter Fannes

Cette année, les salles sont pleines, certains concerts ont même des listes d’attente car la demande est plus importante que l’offre de sièges. Le fait d’organiser un festival dans un lieu comme Flagey et dans une capitale y est pour beaucoup, mais ça fait toujours plaisir. Ici aussi, comme à certains endroits (Norvège, Portugal, Pologne, Allemagne), le public est rajeuni, renouvelé et pour les concerts debout de fin de soirée, carrément dynamique.
Il semblerait qu’une nouvelle génération d’auditeur·trice·s émerge dans certaines parties d’Europe. À moins que ce ne soit lié aux lieux de diffusion et aux programmations spécifiquement attractives pour cette génération ; cela reste dans tous les cas une bonne nouvelle.

Bien que le festival présente plus de 25 propositions artistiques (concerts, expositions, discussions, DJ set, etc.), je n’ai assisté qu’aux six concerts du premier week-end. Là encore, comme l’année passée, l’invitation généreuse de VisitBrussels permet de visiter quelques musées et quartiers de la ville en journée, avant de s’enfermer à Flagey pour un tunnel de musique.

Casimir Liberski, Larry Grenadier, Greg Osby, Nasheet Waits © Patrick Van Vlerken

Comme chaque année, un·e artiste belge est choisi·e pour la résidence (Nabou Claerhout en 2023) et c’est le pianiste Casimir Liberski qui assure le fil rouge en 2024.
Liberski est encore peu connu en Europe car il revient des USA où il a fait ses classes comme pianiste. Il a également participé à l’édition 2023 de l’International Jazz Platform de Łódź et s’y est fait remarquer justement. Il a souhaité présenter un programme en compagnie de trois musiciens américains. Larry Grenadier à la contrebasse, avec qui il lui est arrivé de jouer parfois (en compagnie d’Ornette Coleman !) et le batteur Nasheet Waits avec lequel il tourne régulièrement depuis 2008. Liberski, qui en rêvait, a fait venir le saxophoniste Greg Osby, une des références du mouvement M-Base. Ce concert sur la grande scène est l’occasion de jouer quelques standards, des compositions d’Eric Dolphy, d’Ornette Coleman et quelques compositions personnelles du pianiste. L’ensemble est cohérent, le son très coloré de modernisme de la côte Est. Le pianiste a une main droite rapide et nerveuse qui papillonne autour d’accords structurants. Par moment, le quartet se change en trio, pour une couleur plus nostalgique. C’est une belle réussite.

Rosa Brunello © Patrick Van Vlerken

Auparavant, en ouverture de soirée, on a pu entendre le quartet de la contrebassiste italienne Rosa Brunello (qui était présentée lors de l’édition 2023 du #IWD européenne) venue présenter son nouvel album.
Accompagnée de la trompettiste britannique Yazz Ahmed et de sa compatriote saxophoniste Tamar Osborn ainsi que du batteur italien Marco Frattini, elle a déroulé avec gourmandise une musique personnelle inspirée de musiques traditionnelles diverses, très percussives. La trompette de Yazz Ahmed est parfois trop noyée dans les effets électroniques et les morceaux se succèdent sans vraiment de lien, mais avec les nombreux instruments joués, les couleurs obtenues sont charmantes.

Le soir, le trio britannique Ill Considered joue dans l’espace « club » de Flagey, devant une foule dansante, buvante et joyeuse. Le saxophoniste du trio, Idris Rahman, était d’ailleurs présent la semaine passée dans le groupe de sa sœur Zoe Rahman, à Münster.

Speakers Corner Quartet © Patrick Van Vlerken

Le lendemain, sur la grande scène, un nouveau spectacle étonnant, celui du Speakers Corner Quartet et ses invités. La mise en scène d’abord, ritualisée et odorante (des bâtons d’encens sont brûlés sur la scène) qui confine au sacré, une disposition sur scène peu habituelle et un démarrage en lenteur étirée, digne des longues transes de Godspeed You ! Black Emperor qui glissent vers l’atonal… Puis, avec l’arrivée du clavier Joe Armon-Jones, chantre de l’underground londonien, les choses vrillent et c’est toute l’ambiance qui devient hip-hop, l’entrée en scène de deux toasters enfonçant le clou. À partir de là, on oscille entre de beaux moments de hip-hop acoustique et des passages moins intéressants de harangue du public que, hélas, certains jugent impératif de nous infliger.
Heureusement, la soirée se termine par une autre proposition de Casimir Liberski, dans l’espace fin de soirée, un trio total électronique composé de Liberski aux claviers et de Roman Hiele et Tolouse Low Trax, à l’électronique. Le calembour éponyme du dernier a fait la joie des francophones.

Liberski - Hiel - Low Trax © Patrick Van Vlerken

Leur transe industrielle bien ficelée a emporté l’adhésion du public jusque tard, une belle création qu’on souhaite écouter à nouveau - ailleurs, qui sait ?

On quitte Flagey à regret car la musique, comme le lieu, l’environnement ou la ville, tout concourt à faire de ce rendez-vous jazz de début d’année un moment inoubliable. Et la programmation est toujours surprenante, multicolore et au fait de l’actualité.