Scènes

In Live With Sylvain Darrifourcq

Concert de « In Love With », le 16 janvier 19 au Pannonica.


Photo : Michael Parque

Prestation attendue en ce début d’année, celle du trio « In Love With » de Sylvain Darrifourcq avec les frères Ceccaldi. Un des disques les plus fous de l’année 2018 allait-il passer le cap de la scène et donner à entendre la même intensité que sur l’enregistrement ? Clairement, la réponse est oui, et même au-delà, et même un peu ailleurs. Le Pannonica a eu droit à un vent de folie.

Seulement trois sur scène mais c’est déjà beaucoup car les notes sont foule dans ce programme qui mise principalement sur la répétition de motifs très brefs. Sylvain Darrifourcq, à la manœuvre, conduit pour la deuxième fois un trio en compagnie de Théo et Valentin Ceccaldi (violon et violoncelle). Trois ans après Axel Erotic qui travaillait déjà en profondeur la synergie entre des entités décidées à aller droit devant sans fioriture, Coïtus Interruptus va plus loin et définit plus clairement l’objectif à atteindre.

Dès l’entrée en matière, et pendant plusieurs minutes, le trio s’engage dans un mur du son bancal et obsédant qui ne propose qu’une alternative au public : adhérer au propos ou s’en écarter. L’intensité avec laquelle les musiciens se tiennent sur la scène ne laisse d’ailleurs d’autre choix que de les suivre avec enthousiasme, bien qu’abasourdi. Ce traitement de la matière sonore devient ainsi le viatique d’un propos qui, s’il déborde de partout, n’en est pas moins directif et installe le monde dans un chaos outrancier proprement jouissif.

Théo Ceccaldi, photo Michael Parque

Au sortir de cette période identique à elle-même et en sur-régime, l’équilibre précaire prend la tangente et s’élance alors dans une succession de dérèglements virtuoses qui désorientent l’oreille autant qu’ils sabordent toute possibilité de construction mnésique. La rapidité avec laquelle s’enchaînent les séquences brèves (là un riff lourd évoque le metal, ici, un air tiré d’un mariachi, ailleurs, autre chose) ne laisse, en effet, pas de temps à la mémoire, comme le dirait Proust, de construire son édifice du souvenir. Peu importe pourtant, en parfait rythmicien, Sylvain Darrifourcq sait que le corps aussi façonne son propre rapport à l’événement.

une série d’affects, de ressentis vagues, lointains,
qu’on reconnaît sans les saisir

Par un effet de saturation qui ne permet plus de rien hiérarchiser, la quantité de données perçues se place ainsi dans la sensation pure, brute, sans additif de sentiments. Les possibles ailleurs subrepticement évoqués s’immiscent dans le discours pour en disparaître aussitôt et agitent le déroulé général d’une série d’affects, de ressentis vagues, lointains, qu’on reconnaît sans les saisir, retrouvés à intervalles réguliers sur la durée du concert. Car bien que d’une rare densité, la prestation est, chronométriquement parlant, plutôt courte. Quarante-cinq minutes seulement qui installent l’auditeur dans un état de sidération durant lequel, de manière concomitante, longueur et fulgurance se confondent. Le temps du jeu devient alors un jeu avec le temps et l’effet de cet entrechoquement confère à la narration une dimension nouvelle.

Vient un passage diffus d’une magnifique suspension sur lequel s’étalent les sons. Il vaut comme un bain révélateur pareil à ceux utilisés pour le développement des photographies argentiques. A sa sortie, on retrouve alors le motif entendu au départ qui a littéralement impressionné l’oreille et revient gonflé d’une agressivité nouvelle. Contrairement au présupposé de statisme induit par la répétition, le trio propose, à ce moment, rien moins qu’un lyrisme audacieux. S’inscrivant dans une durée qu’il a passé son temps à nier, il nous conduit à une émotivité proprement unique.

Le tout - et ceci n’empêchant pas cela, y ajoutant même un supplément de charme, - avec le sourire des musiciens.

Sylvain Darrifourcq de conclure “on vous fait des bisous”. La moindre des choses ! après une claque pareille.