Scènes

Jazz & The City : How noisy is your town ?

Le festival de jazz de Salzbourg, une ville pour les musiques


Depuis plus de 20 ans se déroule à Salzbourg, dans de nombreux lieux épars, un festival de jazz et musiques improvisées à la programmation plutôt pointue.

Ces dernières années, c’est Tina Heine, la directrice artistique du festival, qui propose une programmation plutôt européenne et qui crée des surprises en laissant les artistes s’organiser entre eux pour quelques sessions improvisées.

Si le festival attire plus de 25000 spectateurs, ce n’est pas seulement parce que tout est gratuit, mais parce que les propositions s’adressent à un large public. Sur les places, en plein air, des musiques festives et populaires. Dans les salles de concert, les groupes constitués, les propositions d’envergure ; dans les petites salles, les prises de risque ; dans les autres endroits, de nombreuses surprises (concerts sur les toits, dans la rue, les jardins, aux fenêtres, etc…). Plus de 25 endroits différents pour écouter de la musique, pendant 4 jours. Un programme qui présente 70 concerts, il faut donc faire des choix.

Aussi, comme l’expliquait déjà Christophe Charpenel dans son compte-rendu de 2019, à Salzbourg, il faut courir d’un lieu à l’autre et préparer sérieusement son programme. C’est d’ailleurs le seul regret lié au festival : en tant que journaliste, en courant d’un concert à l’autre pour en voir le maximum, on se retrouve assez rapidement isolé et l’absence de véritable centre névralgique du festival se fait sentir ; il est difficile de rencontrer les musicien.ne.s et les professionnel.le.s et de se poser un peu.

une explosion de sons décuplés par la réverbération


Qu’importe puisque le but est de découvrir les créations et conforter les musiques en cours.

House of Impro © Henry Schulz

Ce que je retiens de cette saison ce sont, entre autre, les concerts à la Kollegienkirche. Dans cette haute église à coupole, entièrement plaquée de stuc blanc éclatant, l’acoustique est particulière. Lieu de performances et de workshops, l’église offre un écrin aux sessions House of Impro dont les propositions vont du duo guitare-batterie - une explosion de sons décuplés par la réverbération, à la performance réunissant le pianiste allemand Florian Weber, sa compatriote saxophoniste Anna-Lena Schnabel et notre Théo Ceccaldi national au violon qui improvisent une musique épique sur laquelle une troupe de danseurs évolue tandis qu’un dessinateur, à l’aide d’un vidéoprojecteur, improvise aux pinceaux, projetant le dessin vivant sur les murs blancs dans une certaine pénombre. L’effet est magique.
Enfin, un autre jour, à la tribune de l’orgue, perché.e.s et caché.e.s, la violoncelliste Lucy Railton et le claviériste Kit Downes ont donné leur duo [1]. Si l’on doit reconnaître la magnificence du son de l’orgue ronflant dans une telle église, on peine cependant à distinguer le violoncelle. Kit Downes maîtrise parfaitement l’instrument qui enfle comme un fleuve en crue, sans détacher ses notes, en pédales tenues et en grandes stries horizontales. Il faut attendre qu’il s’abandonne dans la détente pour enfin entendre Lucy Railton et son violoncelle, vrombissant comme un drone dans un ciel d’orage.

Trio Kühne/Vogel/Lanz © Henry Schulz

Autre série marquante, celle des concerts auxquels participe le batteur autrichien Alfred Vogel. Multirécidiviste du festival, (il dirige par ailleurs le festival Bezau Beatz), il tient la scène du Toihaus Theater dans ce qui s’appelle Open House. Soit un petit festival dans le festival, puisque le batteur s’entoure de qui il veut et la soirée se déroule aussi bien sur scène que dans les pourtours ou au bar. Lors de cette soirée, il invitera notamment le gambiste Chris Dahlgren et quelques danseurs…
Il est également en trio dans l’antichambre du théâtre de marionnettes, l’un des rares au monde encore en exercice, avec l’étonnant trio How Noisy Are The Rooms ? (un disque ELU). L’improvisation se fait sur des matériaux simples : une voix expressive sans paroles, une batterie plutôt minimaliste et quelques vinyles comme propositions sonores de relance. Un régal que le public bisse et triple encore.
Enfin, c’est à nouveau avec Chris Dahlgren - et son ensemble - que le batteur joue. Cet orchestre bigarré, international et essentiellement berlinois propose un répertoire de chansons graves et enjouées, dont le décalage tient dans l’attitude des musicien.ne.s, notamment la vibraphoniste grecque Evi Filippou, déjà entendue avec la saxophoniste Angelika Niescier, qui s’en donne ici à cœur joie, passant de la batterie aux percussions et au vibraphone sans oublier de chanter en chœur avec le leader. Nonobstant l’abominable acoustique de l’immense salle de la brasserie typique Stieglkeller…

C’est aussi au théâtre de marionnettes, dans la salle, que joue pour la première fois le nouveau groupe réunissant la fabuleuse chanteuse Lucia Cadotsch et un trio britannique composé de Kit Downes au piano, Phil Donkin à la contrebasse et James Maddren à la batterie. Serré.e.s sur la petite scène de ce théâtre rococo qui n’est pas vraiment équipé pour recevoir ce type de musique, cette première laisse un sentiment immédiat de nostalgie, comme le regret de ne pas l’avoir entendu plus tôt. Lucia Cadotsch a quitté sa tenue de scène rouge habituelle pour une veste noire, casquette assortie et cheveux courts, comme pour montrer que le répertoire et la musique tendent moins vers le standard jazz que vers une certaine couleur pop. Lucia Cadotsch - on ne peut s’empêcher la comparaison - a cette même façon d’inspirer les phrases qu’avait Barbara (et c’est un compliment !). Le trio joue doux, inventif et laisse la chanteuse exprimer avec une belle évanescence les paroles de ces nouvelles chansons.

Enfin, même lieu et avec un autre serial player, le trio Enemy composé de Kit Downes au piano, Petter Eldh à la contrebasse et James Maddren à la batterie joue ce qui sera mon dernier concert du festival. La salle est bien remplie pour l’horaire tardif et l’on assiste à une belle performance du trio. Kit Downes a un sens de la mélodie harmonique, il progresse en riches accords, pleins de notes. Les trois musiciens se laissent le temps pour s’exprimer, c’est ce qui fait leur succès.

Lukas Kranzelbinder © Elmar Petzold

Entre ces quelques souvenirs particuliers, il faut aussi noter les performances du trio Django de Théo Ceccaldi dans l’immense salle de la brasserie : tellement bruyante que le musicien s’est vu obligé de demander au public de se taire car il ne s’entendait plus jouer. Il y a aussi l’orchestre du batteur Max Andrzejewski « Hütte » et son hommage à Robert Wyatt, magnifié par la voix chaude de Cansu Tanrikulu. Il y a le duo Lukas Kranzelbinder (bassiste de Shake Stew) et le batteur Julian Sartorius, avec une musique répétitive dont les couleurs changent au gré du guembri de Kranzelbinder ou de sa basse. Il y a le trio impeccable du batteur Gard Nilssen, avec Petter Eldh (cb) et surtout le saxophoniste Kjetil Moster venu remplacer André Roligheten pour jouer le répertoire roboratif du dernier disque To Whom Who Buys a Record.

Il se forme donc plein de bons souvenirs avec ce festival et surtout un bon point : avec Jazz&TheCity, on oublie que la ville vit depuis 300 ans sur le dos de Mozart. On a l’impression soudaine qu’il y a d’autres musiques possibles ! Et ce n’est pas pour rien que Salzbourg revendique le titre de ville de la musique.