Scènes

Jazz à Vienne 2010, fin et suite…

… l’année prochaine. Eclectique, bigarrée, contrastée, cette dernière une soirée de Jazz à Vienne 2010… De François-René Duchâble, étonnant, à Bobby McFerrin, entraînant et, pour démarrer, bien sûr, le gagnant du Rezzo de l’an passé, le trio de Céline Bonacina, qui a parfaitement tiré son épingle du jeu.


… l’année prochaine. Eclectique, bigarrée, contrastée, cette dernière une soirée de Jazz à Vienne 2010… De François-René Duchâble, étonnant, à Bobby McFerrin, entraînant et, pour démarrer, bien sûr, le gagnant du Rezzo de l’an passé, le trio de Céline Bonacina, qui a parfaitement tiré son épingle du jeu.

La dernière soirée de Jazz à Vienne est cette année, comme son nom l’indique, un mélange de diverses musiques, du crépuscule à l’aube et dans un ordre toujours inattendu, même si le gagnant du concours Rezzo de l’année précédente est toujours convoqué en premier. Ainsi, cette année le trio de Céline Bonacina démarre la soirée sans complexes et sans retenue.

Céline Bonacina © Patrick Audoux/Vues sur Scènes

Le trio n’en est pas à son coup d’essai : l’année qui vient de s’écouler a permis de le retrouver sur différentes scènes et d’apprécier ce mélange d’influences diverses, cette énergie commune et l’équilibre entre la saxophoniste, Nicolas Garnier (b) et Hary Ratsimbazafy (dms). La jeune femme, qui aime jouer de toute sa palette de sax, a eu la bonne idée de s’inspirer de ses voyages et rencontres pour mettre au point un répertoire peu convenu. Même sur une scène aussi difficile à occuper, le trio a su imposer sans forcer une écoute attentive de la part d’un public venu en nombre assister à cette soirée bigarrée. Rendez-vous avec l’album du trio, puisque, on le sait, le gagnant du Rezzo se voit offrir l’enregistrement et la sortie d’un album.

François-René superstar

Les jazzfans allaient-ils mordre à la musique classique ? C’est sans doute avec une pointe d’inquiétude que revêtu, non pas d’une queue de pie, mais d’un polo d’un rouge éclatant, le pianiste virtuose François-René Duchâble pénètre sur la scène du Théâtre antique.
Seul face à plus de 7 000 personnes, il capte immédiatement notre attention en expliquant sa démarche : traquer la note bleue au sein de la musique classique. Très didactique, mais sans pédanterie, il explique son choix parmi les mouvements qu’il va jouer, chez Beethoven (3ème mouvement de la sonate Clair de lune - « au final très jazz » ; Bach (une Toccata) - « qui faisait du jazz sans le savoir » ; Ravel (Ondine) - « qui a rencontré Gershwin recèle des harmonies qui ont inspiré Coltrane » ; et Debussy (Golliwogg’s Cakewalk) - « une pièce inspirée du ragtime », and so…
De la part de ce musicien qui a quitté la scène il y a sept ans - on ne le dirait pas ! - ce concert façon « Jeunesses musicales de France » d’antan aurait pu faire un bide. Toutefois, son art de la pédagogie enjouée, sa volonté non feinte de mettre la musique classique à la portée de tous et, bien évidemment, son talent, font que c’est en superstar du jazz qu’il quittera la scène, s’offrant même une standing ovation. Entre jazz et classique, il a su créer un pont. François-René en grand pontife : ce n’est pas la seule surprise de cette soirée « All Night Jazz »…

Bobby McFerrin sur la bonne voix

Bobby McFerrin © Patrick Audoux/Vues sur Scènes

« Don’t Worry, Be Happy » chante Bobby McFerrin dans son plus grand tube qui résonne encore, je n’en doute pas, à vos oreilles. Rendre les gens heureux, voilà manifestement le but auquel se consacre désormais McFerrin, qui a brillé dans le passé aux côtés de musiciens aussi disparates que Pharoah Sanders, Herbie Hancock ou Yo Yo Ma ; il le prouve une nouvelle fois ce soir - en succédant à François-René Duchâble - lors d’une prestation dont l’instrument unique n’est plus le piano mais la voix, et la plus riche qui soit, comme on le constate au cours de ce concert. Une voix ? Non des voix mêlées : celle de McFerrin, génie de l’improvisation, mais aussi de la centaine de choristes dirigés par Eska, et des quelque 7 000 festivaliers mis à contribution, car appelés eux aussi à faire le spectacle, à l’occasion notamment d’une longue incursion du chanteur dans le public. Jouant avec ce dernier comme avec le chœur, le chanteur se lance dans des scats improbables ou des euphonies à la douceur de nectars liquoreux, utilisant toutes les ressources de ses vastes possibilités.
Un concert orignal, drôle et assurément ludique qui permet d’entrer un peu plus profondément dans cette nuit qui peu à peu se révèle d’un bleu de plus en plus profond.

Le SpokFrevo Orquestra, big band brésilien : la belle surprise

C’était sa première apparition en Europe : le SpokFrevo Orquestra a réussi à Jazz à Vienne une implacable démonstration. Renouvelant l’art du big band, croisant et décroisant ses solistes, il a asséné au cœur de la nuit un art musical détonnant, débarqué en direct de Recife.
Pour ceux qui ont pu tenir jusque-là, c’est une surprise totale. Et on doit retenir son nom afin de ne pas manquer ses prochains passages. Le SpokFrevo Orquestra attaque à un train d’enfer. C’est rugueux ou escarpé, ça rappelle les attaques des grandes formations américaines où les décibels passent d’un coup de 0 à la zone rouge, une espèce de déferlement, de torrent. Ça donne surtout envie de se rendre séance tenante à Recife et de se fondre dans le carnaval longuement évoqué sur scène.
Du SpokFrevo, on ne savait pas grand-chose : un orchestre né en 2003, bâti autour de musiciens pêchus, dirigés de main de maître par Inaldo Cavalcante de Albuquerque (qui, heureusement, a un diminutif : Spok), saxophoniste, arrangeur, et qui a son idée bien à lui : reprendre le frevo, une musique populaire entraînante, et la glisser peu à peu dans d’autres habits. Cela donne au big band une couleur inédite où les interventions des solistes peuvent s’appuyer en permanence sur des lignes de cuivres d’une solidité à toute épreuve (5 sax, 4 trompettes, 4 trombones) et des percussions en veux-tu en voilà. D’où un mélange réussi entre une tradition musicale semble-t-il bien ancrée et des combinaisons musicales novatrices. Très didactique, et alors que le café se prépare sous les écrans, Spok explique chaque thème abordé ; on comprend mieux alors la démarche de cet orchestre, d’autant plus précieux qu’il aura pratiquement été le seul big band à s’aventurer dans le Théâtre antique pour cette 30ème édition.