Entretien

Raphaël Schwab et Julien Soro

Rencontre avec le duo Schwab Soro à l’occasion de la sortie de leur second disque.

Photo : Michel Laborde

Le premier tient la contrebasse (Raphaël Schwab), le second le saxophone (Julien Soro). Depuis cinq ans maintenant, ils se suffisent à eux-mêmes au sein du duo Schwab Soro. Alors que sort Volons ! (chez Neuklang), deuxième disque qui respire un lyrisme paisible, entretien avec les deux musiciens qui se plient à l’exercice avec sympathie et enthousiasme.

- Depuis quand vous connaissez-vous ?

Raphaël Schwab : On se connaît depuis dix ans.
Julien Soro : Depuis 2005 et l’entrée de Raphaël au CNSM en classe de Jazz un an après moi.

- Depuis quand jouez-vous ensemble ?

JS : Depuis 2008 dans Ping Machine, quand Raphaël est entré dans l’orchestre un an après moi (décidément !)
RS : On joue régulièrement ensemble dans Ping Machine depuis cette date mais on avait fait quelques sessions ensemble auparavant quand on était au conservatoire.

- Depuis quand existe ce duo ?

RS : Exactement cinq ans. Notre premier concert a eu lieu le 13 octobre 2011…
JS : … quand une répétition prévue en quartet est devenue une répétition en duo et qu’on s’est dit qu’on s’en sortait pas trop mal finalement, à deux.

- D’où vous vient cette envie de construire un vrai projet avec ce duo ?

RS : D’abord on s’entend bien, Julien et moi. Je crois que c’est important pour un duo, en tout cas au départ. C’est ensuite un défi, de réussir à faire quelque chose d’intéressant et de durable avec une orchestration aussi légère… Et c’est un défi que j’avais envie de relever.
JS : Cette envie s’est installée progressivement, sans ambition véritable au départ mais non sans raison. Raphaël proposait, en effet, un répertoire de ses compositions parfaitement adapté à un duo comme celui-ci et j’avais, de mon côté, sûrement besoin de cet espace-là pour développer mon langage d’improvisateur et me sentir un peu moins cerné par le son que dans mes autres formations de l’époque. Un besoin d’intimité probablement pour tout les deux. Lui dans le domaine de la composition et moi dans le jeu instrumental.

Raphaël Schwab - photo Michel Laborde

- On peut citer quelques duos comme le vôtre (Charlie Haden/Ornette Coleman, ou plus récemment Léandre/Lazro ou encore Wood) mais c’est une formule finalement assez peu répandue. Comment expliquez-vous cela alors même que l’association des deux instruments fonctionne très bien ?

JS : Sans oublier le disque qui m’a influencé au départ dans la conception de ce duo, Phase Space de Steve Coleman et Dave Holland. Oui mais y-a-t-il eu beaucoup de groupes de jazz ou affiliés au jazz sans batterie et sans piano en même temps ? Pas une majorité en tout cas. La batterie est omniprésente dans cette musique et le piano, quand il n’est pas là, est souvent remplacé par un autre instrument harmonique. L’idée de section rythmique est tellement importante qu’on les retrouve rarement déliés. C’est pour cela qu’il y a aujourd’hui des terrains d’exploration intéressants pour ce type de formation, duo contrebasse ou bien batterie associé à un vent, un bois ou un cuivre.
RS : Ça fait peut-être un peu peur de prime abord. La contrebasse n’est pas vraiment un instrument qui peut faire entendre clairement les accords. Mais c’est surmontable, si on assume de jouer beaucoup avec l’espace et les silences…

- Ce type d’association nécessite une mise en place parfaite. Comment travaillez-vous ? Quelle est la part de l’un et l’autre ?

RS : La mise en place parfaite nécessite un préalable un peu chaotique. On prend de plus en plus de risques lorsqu’on répète mais aussi en concert et en studio. Je compose des morceaux qu’on travaille ensuite ensemble. Certains morceaux sont assez différents de la forme que j’imaginais au début, d’autres non… L’avantage du duo, c’est que c’est une formation extrêmement souple, et qu’on peut se suivre l’un l’autre facilement. On peut jouer avec les tempos, avec les tonalités, sans avoir obligatoirement prévenu l’autre de ce qu’on allait faire. Et comme on commence à pas mal se connaître, ça marche.
JS : Raphaël dirige les répétitions car c’est sa musique. Il peut être, par moment, très précis et exigeant dans ses indications d’interprétation d’écriture. Une fois, il m’avait indiqué comme seule orientation sur un morceau à tempo lent, « Avec de la bave ». C’est à moi, ensuite, de chercher, à moi de trouver, avec mon saxophone, ce qui va faire sonner le morceau et surtout d’improviser sur sa forme avec toute la liberté que Raphaël exige.

- Le premier disque respirait une belle fraîcheur, Volons ! va plus loin. Les compositions creusent le sillon de l’intimité et d’une certaine forme d’introspection alors que le traitement que vous leur faites subir va vers davantage d’épure et baigne dans une belle luminosité. Est-ce un choix prédéfini ou votre duo se découvre-t-il au fil du travail ?

RS : Merci pour cette réflexion, ça fait plaisir. J’avoue que ce n’est pas toujours facile d’avoir une vision bien claire de ce qu’on est en train de faire. Et même si on avait dans l’idée de faire effectivement quelque chose de plus approfondi que le premier disque, on n’était pas sûrs du résultat. Cela dit, on était assez convaincus que, trois ans étant passés entre l’enregistrement de ce disque et le précédent, il ne serait pas difficile de constater une évolution dans notre façon de jouer.
JS : Il n’était pas question pour nous deux, après le premier disque d’en rester là et de refaire sensiblement la même musique. Cela nous effrayait un peu. Raphaël avait peur de composer un répertoire trop proche du premier. Ceci dit, on s’est rendu compte au fil de la mise en place du deuxième répertoire que nous pouvions mettre plus de mouvement dans notre musique, qu’elle en serait moins précise mais plus aérée et surtout plus libre. Je crois qu’il y a moins de frontière nette dans Volons ! entre improvisation et écriture, entre tempo et rubato et peut-être aussi entre le rôle du saxophone et celui de la contrebasse.

Julien Soro - photo Michel Laborde

- On sent poindre des influences venues du classique ou de la musique populaire, comment travaillez-vous par rapport à ces réminiscences ? Quelle place tient le jazz dans tout ça ?

JS : Cette question est bien sûr plus destinée à Raphaël. Il me semble que le processus est très instinctif chez lui et je ne pense pas qu’il cherche à conscientiser ses réminiscences…Mais elles sont bien là et cela ne fait pas de doute ! Moi je m’adapte à ces références qui ne me sont pas complètement étrangères non plus. Le jazz a toute sa place là-dedans car au moment où nous jouons, il ne fait pas de doute, pour lui comme pour moi, que nous jouons du jazz et que l’improvisation va occuper l’essentiel des débats ; l’énergie sera primordiale et, au fond, nous recherchons ensemble une forme de swing.
RS : La musique classique, la musique populaire, la chanson, tout ça a une grande part dans mon appréhension de la musique. Le jazz aussi, évidemment. J’ai toujours beaucoup de mal à savoir quelles sont mes influences musicales, mais elles sont multiples. Et si je citais tout de suite quelques noms de musiciens, je sais que j’en oublierais des centaines qui m’ont tout autant marqué, et je m’en voudrais plus tard…

- Les mélodies et les lignes claires prédominent dans une forme d’équilibre qui semble parfaitement contrôlé. Le répertoire évolue-t-il en concert ?

JS : En concert, nous jouons désormais une partie du premier répertoire, une grande partie du deuxième mais aussi « nos standards » que nous avons beaucoup joués ensemble ainsi que cinq ou six morceaux de Charlie Parker que nous explorons de façon plus libre que les standards. La forme des morceaux de Raphaël évolue peu par rapport au disque mais l’axe central qui reste l’improvisation est tout le temps différent.

- Qu’aimez-vous dans l’autre que vous ne pensez pas posséder ?

RS : Sa connaissance de l’harmonie, sa capacité à toujours savoir quand et quoi jouer. On ne fonctionne pas de la même manière à ce niveau-là et c’est assez complémentaire.
JS : Son oreille polyphonique merveilleuse et son sens de l’humour inimitable !

- Vous jouez également tous les deux dans Ping Machine, que représente ce duo en regard de cette grosse machine ? Que peut-il lui apporter en retour ?

JS : Un havre de paix et d’intimité ! Ping Machine nous a beaucoup apporté ces dernières années, ne serait-ce que son chef d’orchestre, Fred Maurin qui, en composant de la musique aussi « folle » pour son orchestre, nous a décomplexés à bien des égards.
RS : Fred Maurin s’est beaucoup impliqué dans le duo en nous proposant de produire notre premier disque et en partie le deuxième. Nous nous sommes ensuite associés, puisque le duo fait partie de la même compagnie musicale avec Ping Machine et Big Four, le quartet de Julien.

- La souplesse de cette toute petite formation permet de jouer dans des configurations les plus simples. Le duo a-t-il l’occasion de tourner beaucoup (ailleurs que dans les salles de concert notamment) ?

RS : A nos débuts, nous avons joué essentiellement dans les bars parisiens et les caves à vin du 10e arrondissement ! Cette année nous avons eu la chance de faire partie du programme Jazz Migration qui nous a permis de jouer dans de grands festivals et sur de grandes scènes (nous avons joué devant deux mille personnes à Nancy). D’autres ont cependant choisi de nous faire jouer dans des espaces plus petits : une petite chapelle, une ancienne grange…. C’est vrai que cette formule est très légère, et qu’elle permet de jouer à peu près partout.
JS : D’autant plus qu’on qu’on se déplace très facilement ! Une fois, on a joué, le soir, à Rodez puis, à Nantes, le lendemain, à 14h, pour rentrer à Paris le jour-même. Il faut dire que Raphaël conduit très bien !

- Un mot du dessinateur qui signe la pochette.

RS : C’est mon frère Quentin Schwab, qui en plus d’avoir ce lien familial avec moi, est un dessinateur de talent. Il dessine Schwab Soro depuis le début du duo. J’aime son humour, sa façon de nous mettre en scène. Dans les dessins aussi on peut voir l’évolution de la musique du duo, qui est peut-être moins explicite, plus éthérée qu’auparavant. Quentin nous représente de moins en moins avec nos instruments de musique. On n’en a plus besoin, on est libres…