Scènes

Jazzdor sold out à Berlin

11° Festival Jazzdor Strasbourg - Berlin : une édition qui conforte encore ce festival bien ancré dans la capitale allemande


Avec un démarrage « sold out », Post K et Out Of Land (faut dire : Parisien/Peirani/Schaerer/Wollny, pas mieux pour réunir les peuples et délier les langues), et une suite bien chambrée, avec des éclats dans tous les coins, la onzième édition de Strasbourg - Berlin fut un très grand succès.

To my sweet daughter Lucille, with me this year in Berlin.

Quand un festival de jazz centré sur des musiciens français, et même s’ils rencontrent (et heureusement) des confrères allemands ou étrangers, réussit à mobiliser tant de personnes pour une première soirée, c’est que, dans cette ville (Berlin) où les propositions culturelles et artistiques sont extrêmement nombreuses, la proposition a été relayée, repérée, fléchée, affichée, annoncée, publiée. Et si, dès les jours suivants, on pouvait encore trouver des places au dernier moment, le taux de remplissage n’en a pas moins été très encourageant. Voilà, c’est dit, c’est très important pour la vie d’un festival, pour la pérennité des choses, et comme par ailleurs la programmation était sans aucune concession, on se réjouit et on en parle.

Ce premier soir, avec Post K et « Out Of Land » (Parisien/Peirani/Schaerer/Wollny) nous n’y étions pas, pour des raisons d’aéroplanes qui, de Bordeaux à Berlin en direct, ne volent pas tous les jours. Ce qui nous valut une remontrance bien balancée de l’ami Hans qui, venu de Périgueux, nous démontra horaires à l’appui et factures en main que nous avions fait un mauvais calcul. Dont acte, pour une prochaine année qui pourrait aussi bien profiter à quelqu’une autre.
Passons donc au deuxième soir.

Sophia Domancich par Michel Laborde

Dans le petit réduit qui sert de loges, Sophia Domancich et Simon Goubert préparent leur liste. Ils sont seuls, tranquilles, je me retire vite fait pour ne pas les ennuyer, tout à mes souvenirs de leur concert à Bordeaux en 2005, où Guy Le Querrec avait fait les photos qui ornent le CD publié sous le titre même du concert : You Don’t Know What Love Is. Ce thème sera évoqué, traversé fugacement dans le premier morceau interprété, lors d’un dialogue amoureux, souriant, aérien, léger et profond, et le reste s’ensuivra jusqu’aux « Seagulls Of Kristiansund » de Mal Waldron qui ponctuent de leur vol et de leur cri l’un des plus étonnants duos qui soient encore aujourd’hui, après 12 ans. Toujours difficile, dans ces conditions, de se propulser vers une suite forcément autre.

Le groupe « Finn Noir » ayant invité Yves Robert (tb), il nous faudra entrer dans une musique à la chair plus à vif, mais l’intérêt des compositions, la dynamique des solistes et la virtuosité souple de l’invité finiront par nous emporter. Quant au troisième groupe de la soirée, il aura en charge de maintenir l’intérêt, voire de le faire rebondir, ce qui n’est pas une mince affaire quand on vient (la formule vaut autant pour nous que pour les spectateurs anonymes) de prendre de la musique encore et encore. Et bien ce sera pari gagné ce soir et les soirs suivants (je préviens) avec le projet « Loin dans les terres » de Louis Sclavis, entouré de Dominique Pifarély (vln), avec Benjamin Moussay (p), Sarah Murcia (b) et Christophe Lavergne (dm). Circulation musicale superlative, objets sonores très joliment variés, et un batteur au top. Régal.

Elise Caron et Edward Perraud par Michel Laborde

En programmateur avisé mais aussi diablement habile, Philippe Ochem avait prévu de nous énerver une seconde fois avec un duo époustouflant pour commencer la soirée du 1° juin. Ainsi mis sur les nerfs par cette équipe de duettistes à la fois calibrés et toujours à la limite du hors-jeu que sont Élise Caron (voix, chant, chanteuse, diseuse, improvisatrice, humoriste) et Edward Perraud (c’est l’autre, batteur bruitiste catastrophiste rattrapé au vol), nous en avions pour le compte, mais c’était sans compter sur Gebhard Ullmann et ses bassesses. Ou plutôt, soyons nets, ses bassistes (Hélène Labarrière et Chris Dahigren), ses clarinettes basses et ses flûtes, plus basses encore. Un trio à ras de terre, si ce n’est encore plus bas, des sonorités assez inouïes, une musique paradoxale qui vous emporte sans décoller du sol, voire du sol grave.

Restait donc Marc Ducret et Métatonal. Et pour ceux (comme moi, quel imbécile !) qui ne savaient pas (pourtant le disque existe [1]), ce fut le choc, la mise à mort, cette sorte d’envol qui coexiste avec le terrassement. L’aboutissement (car nous avons assisté ici même, à Berlin, à nombre de groupes dirigés par Ducret) de beaucoup de travail, d’écriture, de liaisons/déliaisons sonores, pour en arriver (aussi) à ce que la pop music (Bob Dylan) aura laissé en nous de vibrantes émotions. Oui, si Ochem avait prévu et calculé ça, alors bravo. Mais qui en doute, si ce n’est littérairement...

Marc Ducret par Michel Laborde

Déjà le 2 juin, dernière soirée avant le retour en aéronef.
J’avais entendu/écouté/apprécié le Quatuor Machaut déjà plusieurs fois, dans des configurations spatiales diverses, celle-ci (dans une salle a priori classique) était peut-être la plus risquée. Elle fut à mon sens la plus belle, et la plus forte surtout, dans la mesure où ils ont su (Quentin Biardeau, Simon Couratier, Francis Lecointe, Gabriel Lemaire) utiliser les hauteurs du Kesselhaus, mais aussi ses profondeurs insoupçonnées. Les premières trente minutes furent hallucinantes, avec d’un côté la messe de Machaut quasiment « straight », et dans le fond les hurlements des suppliciés (de l’inquisition ?) saisissants, terrifiants, lugubres.
Final plus paisible, retour à la méditation. Coronado est le titre d’un groupe dont, figurez-vous, Gilles Coronado (g) est le fondateur. Très original dans son principe, avec ces aventuriers cachés que sont Matthieu Metzger (ss), Antonin Rayon (claviers) et Franck Vaillant (dm). Dans un dernier effort de lucidité acoustique, nous eûmes pour terminer soirée et festival une formation à huit, qui associait le quatuor IXI et le groupe Melanoia du batteur Dejan Terzic. Rencontre au sommet, pleine de chicanes et d’envolées lyriques, et mention très spéciale à un remplaçant de la dernière minute, le saxophoniste alto Christian Weidner, dont je vous recommande l’écoute. J’ai rarement rencontré un altiste capable d’évoquer le dernier Ornette Coleman avec tant de beauté dans le son, et cette plainte discrète qui fait la marque des saxophonistes du Texas. Finir avec dans les oreilles le son et le phrasé tendu de ce monsieur fut une façon de quitter les lieux avec un beaucoup de regrets, mais un halo de beauté.
Comment n’y aurait-il pas, dans ces conditions, une douzième édition ?