Scènes

Marathon Supersonic en orbite

Le Supersonic de Thomas de Pourquery en concert à Home Factory.


Supersonic © Franpi Barriaux

Trois jours pour annoncer le printemps : les musiciens du Supersonic de Thomas de Pourquery sont venus à Rouen dans tous les avatars possibles. Invitée par Home Factory qui organise tous les mois des concerts à Sotteville, dans la proche banlieue de la capitale normande, cette bande soudée a présenté toute sa musique possible dans différents lieux.

Frédérick Galliay © Franpi Barriaux

C’est à la Brique, un lieu de la Rive Gauche rouennaise, que Big est arrivé, avant le reste du groupe. Constitué de la base rythmique du Supersonic, le bassiste électrique Frédérick Galiay et le batteur Edward Perraud, le duo se trouvait à son aise dans ce lieu atypique. Entre une brasserie artisanale et les outils nécessaires à tout bon pizzaiolo, la dureté radicale de Big trouvait en quelque sorte le terrain idéal. Les improvisateurs, dont la complicité est ancienne, s’installent dans le silence avant de laisser parler la foudre. Quand Perraud s’élance sur ses toms, c’est une déflagration, davantage encore que le son rauque, minéral de la basse électrique. Ça joue fort, c’est de facture rude, mais la finesse ne quitte jamais le flot contondant qui s’empare du petit entrepôt. La batterie joue simple, direct, Edward Perraud double son jeu d’un petit oscillateur électrique qui lui permet d’amplifier son souffle, comme une nappe supplémentaire qui invite Galiay à se lancer dans toutes sortes de déviations en glissant des objets sous des cordes gorgées d’électricité. Très vite, on sent que Big ne se fixe pas de limites, et personne n’en demande ; lorsque la grêle se tarit, rafraîchissante comme une giboulée, c’est un heureux essoufflement qui l’accueille. De quoi se préparer pour le lendemain.

Le registre qui reluque vers une pop cosmique se mâtine d’improvisations, de temps plus longs.


C’est le 106, ancien hangar des quais de Seine transmué en salle de spectacle, qui accueille le Supersonic. On sait qu’on peut toujours compter sur Thomas de Pourquery pour faire le show, et nos espoirs ne sont pas déçus. Tiré de leur dernier album Back to The Moon, le répertoire du concert a évolué en douceur, permettant aux musiciens une plus grande liberté, que la trompette de Fabrice Martinez saisit immédiatement par une ouverture lumineuse. Le registre qui reluque vers une pop cosmique se mâtine d’improvisations, de temps plus longs. Cela donne plus d’espace aux soufflants, Pourquery en tête mais aussi Laurent Bardainne qui se charge en plus de la dose d’électronique nécessaire à ces rejetons (pop) galactiques de Sun Ra. Edward Perraud s’amuse et s’engouffre dans la moindre brèche, dans un registre moins virulent que la veille, mais qui conserve cette noirceur dans le champ des possibles.

Thomas de Pourquery © Franpi Barriaux

Cette capacité à dépasser le disque, à étendre l’univers, a un effet solaire sur la prestation de Thomas de Pourquery. On savait sa voix magnifique, capable de toutes les acrobaties, il se transcende ici. Indéniablement, c’est le pôle magnétique du sextet, mais il ne réclame pas lumière. Il la capte, entre humour affable et vraie subtilité, notamment induite par le pianiste Arnaud Roulin. Supersonic est un OVNI, certes, mais il ne semble pas près d’atterrir.

Les Drôles de Dames nous attendent sur le tarmac


Question subtilité, Arnaud Roulin ne souhaitait pas s’arrêter en si bon chemin. Chez Home Factory, le lendemain, le pianiste nous invite à un solo très concertant, tout en douceur, illustration de la ligne de crête sur laquelle évolue le Supersonic. Une main gauche souple qui pérégrine au centre du piano et une douceur diaphane, quelque chose qui regarde tout autant le jazz que la musique française du XIXe ; s’il ne s’était pas passé toute une journée depuis le voyage sidéral du Supersonic, on pourrait croire à un after… C’était compter sans Les Drôles de Dames qui nous attendent sur le tarmac : les trois derniers membres du sextet, Bardainne et Martinez accompagné de Thomas de Pourquery terminent ce week-end par un retour des cosmonautes. Paru chez BMC, le disque du trio était un petit bijou, il brille de mille feux dans l’intimiste petite salle. Les musiciens jouent avec tout un dispositif électronique pour doubler les voix et les souffles, pour donner au son toute sorte d’effets et d’illusions. On pourrait songer qu’il s’agit de la face cachée de la planète Supersonic, c’est plus sûrement son noyau. Sa réduction tellurique qui cherche, creuse, sonde les failles. Les six de Supersonic sont une galaxie, et c’est un privilège d’avoir pu en observer toutes les facettes, le temps de trois jours en apesanteur.