Scènes

Marseille / New-York : la Jam connexion

Trois concerts à Marseille organisé par Le Jam Hors Les Murs au printemps 2023.


Clovis Nicolas Quartet © Philippe Bertrand

La sémillante équipe du Jam, « Hors Les Murs » depuis bientôt deux ans, a désormais un carnet d’adresses outre-Atlantique suffisamment bien rempli pour proposer aux publics de la cité phocéenne des formations dont les prestations n’ont rien à envier aux sessions du Smalls. Ayant pris ses quartiers au Club 27, dans le quartier des Chartreux, la « bande organisée » conduite par Henri Fiore et John Massa aligne dans sa programmation quelques-uns des meilleurs musiciens new-yorkais.

Or Bareket, Godwin Louis © Philippe Bertrand

En avril : Or Bareket Quartet (Or Bareket - b, Jeremy Corren - p, Godwin Louis - as, Savannah Harris - dm)

L’interplay entre ces quatre artistes a quelque chose d’un plaisir jouissif. Le groupe semble pris dans une sorte de transe et suscite une effervescence collective dans l’auditoire : claquements de doigts sur les deuxième et quatrième temps (public de connaisseurs oblige), soupirs et onomatopées de bonheur, applaudissements qui crépitent… le pianiste, souvent poussé dans ses derniers retranchements par la batteuse, finira par mettre les coudes ! Les bombes de batterie tombent souvent là où on ne les attend pas mais relèvent de l’évidence, tant l’art percussif de la musicienne combine le meilleur de l’histoire de l’instrument avec des traits ouest-africains voire amérindiens qui sont sa marque de fabrique. Le contrebassiste, lui, distillera des notes et des lignes envoutantes, aux effluves bluesy et orientaux, tant dans les solos que dans l’accompagnement, jusque dans des harmoniques somptueuses.

Joe Farnsworth © Philippe Bertrand

En mai : Joe Farnsworth Quartet (Joe Farnsworth - d, Wallace Roney Jr - tr, Olivier Truchot - p, Patrick Maradan -b.)

Né en 1968, le batteur étasunien Joe Fanrsworth s’est produit aux côtés, entre autres, de Pharoah Sanders, Harold Mabern, Benny Golson, Junior Cook, Peter Bernstein, Immanuel Wilkins, Kurt Rosenwinkel… pour n’en citer que quelques-uns. Musicien incontournable de la scène new-yorkaise, il revenait à Marseille en compagnie du trompettiste Wallace Roney Jr.
On laissera aux exégètes autorisés le soin de disserter de la part d’héritage dans le jeu de ce trentenaire pour retenir de sa prestation une rare conviction, faite de tendresse et de rage, d’une énergie groovy épicée à souhait, qui n’est pas sans rappeler Freddie Hubbard : articulations valeurs longues et courtes d’une rare intensité, timbre qui passe des graves au suraigu avec une évidence déconcertante, jeu de citations malicieux.
Le concert, en deux sets, commence et se termine par un titre du pianiste Harold Mabern, « The Beehive », un bop au taquet gorgé de soul. Les standards exigeants défilent, entre « We See », « Yesterdays » et « Little B’s Poem » proposé comme un hymne (Farnsworth fera chanter le public).
C’est que le batteur n’aime rien tant que de jouer sur les codes du répertoire. Quelque part, il chante avec son instrument, déployant polyrythmies et polyphonies sans pareilles. Sa trinité, avoue-t-il entre deux morceaux ? Max Roach, Roy Haynes, Art Blakey. La messe est dite.

Clovis Nicolas © Philippe Bertrand

En juin : Clovis Nicolas Quartet (Clovis Nicolas - b, Simona Premazzi -p, Jeremy Pelt -tr, Leon Parker -d)
Le contrebassiste Clovis Nicolas, qui fit ses premières armes jazzistiques dans la métropole provençale, s’ y est arrêté pour deux soirs lors de sa dernière tournée européenne. Il venait présenter le répertoire de son dernier album, The Contrapuntist. Simona Premazzi, italienne, s’impose comme une instrumentiste incontournable sur les scènes d’outre-Atlantique, jouant avec le gotha local (Greg Osby, Melissa Aldana…). Sur la scène du Club 27, elle assène des leçons d’élégance musicale d’une rare classe, d’autant plus que le répertoire du soir, issu de transpositions de compositions pour un quatuor à cordes, est d’une exigence poétique certaine.
Leon Parker, réputé pour être un batteur minimaliste d’une perfection rythmique sans pareille, offre au groupe des impulsions furtives qui ouvrent des pistes d’improvisation, sans oublier de se livrer à l’une de ses performances en percussions corporelles dont il a le secret. Jeremy Pelt, égal à lui-même, balancera son swing poignant dans des formes musicales peu usitées.
Quant au leader, sa grande acuité artistique lui permettra d’orienter le set vers des limbes jazzistiques insoupçonnés. Il finira par un morceau en solo issu de son disque Autoportrait. Une prestation un peu écourtée pour un public clairsemé ce soir-là, du fait des « émeutes » consécutives à la mort du jeune Nahel Merzouk, abattu à bout portant par un policier.