Jean-Jacques Birgé - Mp3 gratuits
Quelques pistes d’écoute d’une discographie foisonnante.
Poursuivant son incessante production, Jean-Jacques Birgé (futur centenaire selon ses propres pronostics) publie régulièrement sur son site des enregistrements accessibles en streaming, à raison de deux ou trois parutions annuelles et ce parallèlement à son travail d’édition discographique.
Citizen Jazz avait rendu compte en 2014 déjà de Game Bling rencontre réussie entre J-J.B., Eve Risser et Joce Menniel. Depuis, d’autres références ont immanquablement vu le jour. Passage en revue d’une petite dizaine de productions.
Pour la plupart captés live, ces enregistrements, souvent en trio ou duo, sont le résultat d’improvisations proposées sur les scènes parisiennes. Triton, Silencio Club pour les salles, Maison de la Radio dans le cadre de l’émission Tapage Nocturne ou plus simplement dans le propre studio Grrr de Birgé. On touche ainsi du doigt une musique de proximité, qui se vit au quotidien et remplit une vie.
Passons rapidement sur le dispensable Entrechats (2016) qui réunit Vincent Ségal et Cyril Atef (pour le duo Bumcello) pour ce qui s’apparente à une jam session. Les moments qui fonctionnent et ceux plus convenus ont certainement été plus intéressants à vivre qu’à (ré)écouter. Intéressons-nous plutôt à des prestations plus subtiles. A commencer par Un coup de dé jamais n’abolira le hasard (2015) avec Médéric Collignon, au cornet et à la voix (mais aussi au smartphone), Julien Desprez à la guitare électrique et bien sûr Jean-Jacques Birgé au clavier et tenori-on (cet instrument récent, produit de la musique électroniquement en modulant les sons à partir d’une sorte de tablette numérique). Complétées par des vidéos, également accessibles sur le net, on assiste à une succession de plages plutôt courtes qui permettent d’apprécier la saveur des propositions et l’inventivité de chaque personnalité. Sur les sons hypnotiques de Birgé, Collignon, d’une élégante sobriété, instille beaucoup d’émotion avec sa voix et son l’instrument tandis que Desprez fond sa guitare dans l’ensemble et tisse des textures fines et décalées.
Autre trio qui fonctionne, L’Isthme des ismes (2017) qui rassemble Antonin-Tri Hoang, fidèle compagnon de Birgé (à ses côtés sur quantité d’autres projets) et le jeune percussionniste belge (il n’a que 22 ans) Samuel Ber. Sans tirer la couverture à soi, il attire tous les regards (ou sollicite tous les tympans) par sa capacité à rechercher des teintes nouvelles sur une grande diversité d’instruments (wood block, gong chinois, bol tibétain, tam tam symphonique, etc.). Il les utilise en parfait coloriste, n’hésitant pas à jouer de la rupture ou des climats tandis que les deux autres créent dans l’instant des mélodies qui vont jusqu’à évoquer de petites compositions pop notamment par l’usage simple mais expressif du piano (tenu par le clarinettiste). Beaucoup de charme et d’humour dans ce travail.
Toujours avec Hoang, [Un coup de dé jamais n’abolira le hasard 2] (2015), en trio toujours mais cette fois en compagnie de l’accordéoniste Pascal Contet. A partir du jeu Oblique Stratégie (inventé par Brian Eno et Peter Schmidt et qui invite à orienter son jeu à partir d’indications aussi énigmatiques que stimulantes) et dont les cartes sont tirées par des personnes du public, l’enregistrement, quoique drôle lui aussi à certains moments, est plus sombre que le précédent. Plus mystérieux aussi, l’accordéon se prêtant à de long continuums sonores qui conduisent à des interventions évocatoires de la part du clarinettiste. Si la fresque ainsi dressée prend parfois des atours tragiques, c’est en jouant de minimalisme qu’elle donne à ses parties grandiloquentes une authentique sincérité. Birgé, quant à lui, impressionne tout au long de ces diverses productions par sa capacité constante à renouveler son langage sans jamais se répéter.
Deux autres formations plus atypiques (en tous les cas, moins proches de la sphère jazz dans laquelle les différents musiciens cités précédemment peuvent également être entendus), le trio qui réunit Sophie Bernardo (voix et basson) et Linda Edsjö (voix, batterie, carillon et vibraphone) puis le duo Harpon.
Arlequin (2015) et Défis de prononciations (2017) donnent à entendre, dans le trio, des lambeaux de voix ou des voix dans les limbes (c’est selon) sur des bruits divers qui s’engendrent les uns des autres sans jamais s’interrompre. Le timbre des instruments induit naturellement une sorte de classicisme narratif et l’utilisation, notamment, du carillon installe des sonorités nébuleuses et innocentes qui posent de touchantes atmosphères. Sur le deuxième enregistrement, les jeux sur les exercices de langue (« Si six scies scient six cyprès, six cent six scies scieront six cent six cyprès ») donnent lieu à de belles et ludiques envolées. Tout est prétexte on le voit, à stimuler l’imaginaire pour lui permettre de se déployer encore et toujours plus loin. Birgé en cela, bien que futur centenaire, garde son âme d’enfant et sur Arlequin le titre “Violettes” est particulièrement vibrant.
Finissons avec Harpon (Harpon 2016 et Paradis 2017) où notre homme collabore avec Amandine Casadamont, musicienne qui se définit elle-même comme joueuse de vinyles. A partir de sources tirées uniquement de disques qu’elle échantillonne et déconstruit, elle crée des univers dans lesquels Birgé s’intègre parfaitement (renouant d’ailleurs avec sa pratique de monteur de son, dont Carambolages (2016) qui a servi de partition à une exposition au Grand Palais est un bel exemple). On est bien sûr interloqué par la performance mais au-delà de l’aspect technique, les montages véritablement cinématographiques déroulent une grande variété de fragments venus de partout (cigales, feu, sirène, dialogues, etc.) qui créent beaucoup d’espace et de stimuli sensibles. Difficiles de distinguer qui fait quoi mais peu importe, l’ouverture est grande vers des paysages inouïs dans lesquels s’animent les images intérieures.
Nous ne pouvons que recommander d’aller piocher dans cette malle aux trésors : plus de soixante-dix références sont accessibles à ce jour. Jean-Jacques Birgé, multi-instrumentiste, fou de son, riche de ces rencontres, y dessine des univers de poésie qui ne cherchent jamais dans l’autre la confrontation mais plutôt la complémentarité. Afin de donner de nouvelles lettres de noblesse au monde de l’impalpable, aux ondes vibratoires qui touchent en nous des cordes que nous ne soupçonnions pas, il fait toujours mouche.