Chronique

Pierre de Bethmann Trio

Essais / Volume 2

Pierre de Bethmann (p), Sylvain Romano (b), Tony Rabeson (dms).

Label / Distribution : Aléa

Avec Pierre de Bethmann, il est question de rendez-vous. Avec lui-même, avec nous. Les années Prysm (de 1994 à 2001) sont désormais lointaines, son Ilium à la géométrie variable s’en est allé, mais le pianiste n’a cessé depuis d’afficher une hyperactivité qui se traduit aujourd’hui sous une forme double dont on peut suivre l’histoire au fil des mois. Celle, d’abord, du Medium Ensemble et ses deux premiers témoignages discographiques, Sisyphe et Exo, qui sont les marqueurs d’un travail d’écriture d’une grande richesse. De Bethmann sculpte avec passion les formes musicales au gré d’arrangements qui mettent en valeur à la fois la puissance du collectif et la liberté individuelle. Ses solistes ne s’en plaindront pas (David El-Malek, Stéphane Guillaume, …). Celle ensuite d’un trio qui semble exercer la fonction de source à laquelle – stimulé en cela par l’aisance d’une paire rythmique constituée de Sylvain Romano à la contrebasse et de Tony Rabeson à la batterie – il vient trouver l’apaisement. Car l’homme ne connaît pas souvent le repos.

Ce trio au sein duquel règne à n’en pas douter l’harmonie publie le deuxième volume de ses Essais, disque qui repose sur le même principe que son prédécesseur, Essais / Volume 1, dans une identité visuelle proche : considérer la musique dans toute son histoire et sous toutes ses formes. Avec cette fois une traversée des siècles puisque le répertoire commence au début du XVIIIe siècle (et une adaptation aux accents blues de « Il Trionfo Del Tempo » de Georg Friedrich Haendel) pour finir au milieu des années 80 par un petit tour du côté de chez Laurent Voulzy. Un grand écart stylistique dans les inspirations et toujours – parce que l’histoire du jazz ne saurait oublier leur chemin – la part belle faite aux standards (« Conception », « I Remember You » ou « You Don’t Know What Love Is ») et à la chanson française (« Je bois »). Ravel est également invité à la fête (« Forlane »), tout comme l’Histoire de France et son « Chant des Partisans », dans une version bouleversante.

On écoute cette heure de musique dans le ravissement, conquis par la force tranquille du trio : Pierre de Bethmann et ses partenaires effacent le temps, ils se refusent à établir une hiérarchie entre les compositions. Pas de grande musique ni de petite : non, le chant et rien d’autre, porté par un groove profond et chaleureux. On savoure tout autant la souplesse de la paire rythmique que l’élégance naturelle du pianiste. Nous écrivions au sujet du Volume 1 : « un disque de plénitude et de désir partagé, qui nous rappelle que c’est bien avec le cœur que le jazz se joue depuis toujours et qu’il continuera à écrire son histoire ». Le constat est le même deux ans plus tard.

Essais / Volume 2 est la quatrième référence du label Aléa créé par Pierre de Bethmann lui-même, qui annonce une année 2018 riche en événements, avec notamment la création du Volume 3 du Medium Ensemble au Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines au mois de juin. Ainsi que d’autres projets et concerts dont ceux de ce trio si séduisant. Chez lui, toujours la même soif, toujours la même fièvre. Et c’est un plaisir de savoir qu’on le retrouvera très vite. En attendant, la chaleur bienfaisante de ce disque aidera grandement à passer l’hiver. On pourra même s’attarder longuement du côté de « Belle-Île en Mer, Marie-Galante », dont la reprise en clôture de l’album est rien moins que magnifique. Et très émouvante.