Chronique

Jacques Ponzio

Monk encore

Label / Distribution : Lenka Lente

Jacques Ponzio récidive. Deux ans après avoir publié, déjà chez Lenka Lente, un Abécédaire sur Thelonious Monk, il revient avec un livre une nouvelle fois consacré au pianiste américain et, en quelques 160 pages agrémentées de photos peu convenues, livre une somme érudite qui reste toutefois parfaitement accessible.

Plus qu’une somme, devrait-on d’ailleurs parler d’une soustraction, tant il s’évertue à nous montrer que Thelonious Monk n’est ni cela et encore moins cela. Certainement pas, par exemple, ce naïf techniquement maladroit qui révolutionne le piano comme malgré lui, simple medium d’une puissance supérieure qui use de lui. En s’attachant à montrer qu’il est avant tout le personnage qu’il a lui même construit, derrière lequel il se cache parfois, qui le dépasse sûrement à d’autres moments, Ponzio peint le portrait touchant d’un homme complexe et d’un musicien d’exception que d’aucuns ont préféré voir fou.

En cela, la partie du livre qui aborde la prétendue pathologie du pianiste est la plus intéressante. S’appuyant sur son activité de psychanalyste, Jacques Ponzio démontre que Monk n’est aucunement fou mais que son comportement et ses attitudes sont plutôt dues à un contexte socio-historique qui expliqueraient sa manière d’être (le rapport des Afro-américains à la société américaine des années 40 à 70, la relation du jeune Thelonious à une mère célibataire, plus tard la place des drogues diverses, de l’alcool à l’héroïne, dans un milieu où elles circulaient couramment). Convaincant dans sa démonstration, il redonne à l’homme un plein statut de sujet agissant et, par voie de conséquences, rend digne et entière la force créatrice de sa musique.

Construites de manière éclatée, incorporant des textes signés d’autres auteurs, sautant du coq à l’âne (on retrouve une lettre écrite dans Citizen Jazz en 2017), les premières pages peuvent dérouter. L’humour, la légèreté et surtout l’amour inconditionnel que Ponzio porte à son cas d’étude emportent vite l’adhésion. On en vient à penser que la discontinuité et les dissonances chères à Thelonious se sont finalement invitées dans l’écrit de Ponzio. Un livre donc, non pas sur Monk uniquement, mais avec lui, à ses côtés, en résonance.