Chronique

Robinson Khoury

Broken Lines

Robinson Khoury (tb, voc), Mark Priore (p), Pierre Tereygeol (g), Étienne Renard (b), Élie Martin-Charrière (dms).

Label / Distribution : Gaya Music

Attention, coup de maître ! Un tel mot mot convient d’ailleurs parfaitement à l’idée qui traverse le deuxième album de Robinson Khoury, lui qui a voulu jeter des ponts entre sa passion pour la peinture (plus particulièrement celle du début du XXème siècle et l’abstraction) et la musique qui tourne dans sa tête. Pour dire les choses simplement, il s’agit pour le tromboniste de sortir du cadre conventionnel du jazz – la sacro-sainte formule thème/chorus/thème – afin d’élaborer un langage musical à la fois complexe et accessible, qui embrasse une multiplicité de formes et de nuances, y compris à l’intérieur d’une même composition. Les modes musicaux sont les couleurs, les rythmes sont les formes géométriques. À 27 ans, celui qu’on a pu repérer en action au sein de différentes formations (Uptake, Octotrip, Sarab) ou associé à plusieurs ensembles (Metropole Orkest, Sacre du Tympan, Umlaut Big Band…) fait preuve avec Broken Lines, son deuxième album, d’une étonnante maîtrise – rigueur et imagination sont au pouvoir – et se révèle dès à présent comme une voix majeure d’un instrument qu’on découvre là dans tous ses états. Une magnifique plénitude, en réalité. Dans ces conditions, autant savoir que ce jeune homme est un musicien qui n’a pas fini de faire parler de lui. Surtout, il faut souligner le fait que la démarche affichée, presque théorique, de ce disque, qui pourrait effaroucher certains esprits, va chez lui de pair avec une création très loin d’être désincarnée. Elle est au contraire riche de mille pépites charnelles, des cellules de vie, qu’on découvre au fil des minutes.

Chez Robinson Khoury, le temps s’étire avec une souplesse féline, entre compositions brèves (telles ces « Estampes » dont la plus courte dure une minute trente) et thèmes au long cours, jusqu’à dix minutes parfois, qui voient rythmes et textures changer, se transformer, pour composer au bout du compte un puzzle d’une grande fécondité. Khoury nous embarque, sans forcément indiquer le cap, mais il arrive toujours à bon port, y compris dans un grand éclat de rire collectif. La surprise guette quasiment à chaque seconde, les musiciens jouent les transformistes et multiplient les teintes : Pierre Tereygeol à la guitare, Mark Priore au piano, Étienne Renard à la contrebasse et Élie Martin-Charrière à la batterie (trois d’entre eux étaient déjà présents sur Frame Of Mind, le premier album du tromboniste en 2020). Cette élasticité temporelle, cette liberté des formes, cette incessante variation des climats et des associations instrumentales font de Broken Lines à la fois un pavé dans la mare du jazz contemporain et une promesse pour demain. On n’oubliera pas de souligner le fait que Robinson Khoury se présente toujours en chanteur de sa musique, qu’il intervienne au trombone (d’une versatilité très réjouissante) ou au chant (ce qu’il fait avec beaucoup de maîtrise également), n’hésitant pas à conclure par « You And I », une ballade aux accents pop d’une grande tendresse. Bravo, vraiment !