Sur la platine

Sonny Simmons et ses esprits incandescents

L’album Burning Spirits paru en 1970 est déjà le sixième de Sonny Simmons


L’album Burning Spirits, paru en 1970, est déjà le sixième de Sonny Simmons en tant que leader, soit un peu plus d’une sortie par an. Ce bon rythme de parution laissait augurer une production conséquente. Le sort en a décidé autrement.
Avant l’éclipse qu’il aura connu, il s’ébrouait dans un free plein de sève, tout en ne larguant pas toujours les amarres du post bop. Et comme le free est multiple, sa musique présente bien des chatoiements de ce courant en plein bouillonnement.

« Ils » sont sept à participer à cet enregistrement, mais ils ne sont jamais au complet. Le pianiste, Lonnie Liston Smith, par exemple, n’apparaît que sur deux des six morceaux. Sur le premier, « New Newk », en quintette, la musique proposée porte l’énergie d’une musique toute d’effervescence créative, mais qui, pour les oreilles d’aujourd’hui, ne se situerait qu’en lisière de la révolution free, même si le thème est typique de cette époque, une séquence répétée allant decrescendo. Deux solos incandescents de Sonny Simmons viennent illuminer cette piste ainsi qu’un final somptueux au soprano, d’un lyrisme coltranien. Dans cette débauche de haut vol, plusieurs autres solos (chacun son tour, à l’époque), dont celui très mélodiste de Richard Davis (b) et un Clifford Jarvis (dm) sans les entraves d’une rythmique de métronome.

Le groupe se retrouve presqu’au complet, en sextette donc, pour « Things and Beings ». Ici, le post bop est derrière nous ; le duo mélodique Michael White (vln) et Sonny Simmons (cor anglais) nous mène vers des sonorités étranges, peu communes en jazz, la basse de Richard Davis étant omniprésente et la batterie cataclysmique. Un dialogue, attendu mais délicieux, entre les deux basses, les staccatos impressionnants de notre Sonny, un piano qui arpège sur place : l’hypnose s’installe. Un moment magique. Mais ce n’est pas la seule merveille de ce double LP.

Sur toutes les autres pistes, on retrouve Barbara Donald, la trompettiste trop peu reconnue. Elle fait exploser les sonorités et dynamise davantage encore un groupe qui n’était pas en manque.
Le thème qui donne son nom à l’album, « Burning Spirits », est joué à deux reprises.
Dans la première, la musique rappelle les moments de ferveur coltraniens, mais avec ses couleurs propres. L’absence de piano, le duo de contrebasses halluciné et la batterie sauvage donnent aux discours du ténor une aura exceptionnelle. Et il sera de même lors du geyser de la trompette de Barbara. Une fête païenne qui donne des ailes au violon, acide au possible, venant mêler ses cordes aux deux autres. Le duo de contrebasses encore, sombre d’un côté, hypnotique de l’autre, dialoguant dans une danse à la manière d’Hector et Andromaque (Giorgio de Chririco). Un déferlement d’une nature hors de contrôle. Une merveille de plus.

Cet album a été réédité par Contemporary Records, mais il est, je crois, introuvable à des tarifs raisonnables, y compris sur Discogs.
De larges extraits sont toutefois disponibles sur YouTube, dont celle-ci avec la version 2 de « Burning Spirit »

par Guy Sitruk // Publié le 11 octobre 2020
P.-S. :

Dans Staying On The Watch un titre faisait référence à une physique qui impressionnait les foules, « Interplanetary Travelers ». Ici aussi, cette physique pointe dans « E=Mc2 ». Peut-être un effet de la course à la Lune que se faisait les USA et l’URSS, dans ces années là.

Les musiciens : Sonny Simmons (as, ts, cor anglais, comp), Barbara Donald (tp), Richard Davis (b), Cecil McBee (b), Clifford Jarvis (dm), Lonnie Liston Smith (p), Michael White (vln)