Stéphane Kerecki fait son cinéma à la Dynamo
Stéphane Kerecki présentait à la Dynamo son quartet « Nouvelle vague » avec John Taylor, Antonin-Tri Hoang, Fabrice Moreau et Jeanne Added en invitée.
Après Théo Ceccaldi et sa « Petite Moutarde », Fred Pallem et son « Soul Cinema », le quartet de Stéphane Kerecki « Nouvelle Vague » vient clôturer une série de trois concerts associant jazz et image, concoctée par la Dynamo de Banlieues Bleues à Pantin.
Récent lauréat du prix du Meilleur disque de jazz français décerné par l’Académie du Jazz pour Nouvelle vague, Stéphane Kerecki joue ce soir avec un quartet remanié, Antonin-Tri Hoang remplaçant Emile Parisien (retenu par Vincent Peirani et Michel Portal à La Rochelle).
L’idée de ce projet étant de réinterpréter des musiques écrites pour Louis Malle, Jacques Demy, François Truffaut et Jean-Luc Godard, un montage vidéo d’Adrian O. Smith reprenant des séquences de cinq films cultes accompagne le concert. Jolie manière de signifier l’importance de la musique et de son articulation avec les images portées à l’écran, et par là même de rendre hommage aux compositeurs connus (Georges Delerue, Michel Legrand, Jean Constantin) ou moins connus (Paul Misraki, Serge Rezvani) de la Nouvelle Vague. Kerecki, en chef de bande, dirige la manœuvre d’une bienveillante main de fer. On le connaissait le contrebassiste pour ses talents de compositeur, entrevus dans des albums en quartet [i] dont on gardait longtemps les mélodies en tête. Mais il montre ici un réel talent d’arrangeur et d’orchestrateur.
Et comme au cinéma, ça commence par un générique, celui du Mépris de Godard. Antonin-Tri Hoang, à l’alto, expose le motif-titre en un phrasé aérien, retenu, vibratile, soutenu par un trio ultra-soudé autour de la contrebasse dansante. Le ton est donné. Les thèmes s’enchaînent, les formations aussi. C’est d’abord un beau duo Kerecki / Taylor démontrant une forte complicité déjà entrevue sur Patience (2011). John Taylor, immense pianiste mésestimé (il vient toutefois de recevoir, ex-æquo avec Michael Wollny, le prix du Musicien européen de l’année de l’Académie du Jazz et à 73 ans passés, il était temps), semble jouer à l’économie, toujours à propos et utilisant les silences comme autant de notes à imaginer. Puis vient un trio sans pianiste, avec Hoang en vedette américaine, précis, affûté, économe tel un Lee Konitz des temps modernes. Ensuite, un quartet pour la majorité des thèmes, joués très près de leur version disque et mettant en avant la présence magnétique de Fabrice Moreau qui souligne, surligne, colore, relance, étire dans un fracas ouaté de balais et de cymbales. Et pour finir, quintet avec Jeanne Added au chant pour trois moments de grâce. Trois thèmes qui pourraient virer bluettes sans sa présence, son timbre, sa folie, son charisme. Trois morceaux en apesanteur pendant lesquels le temps semble s’arrêter. Trois sommets dans ce concert parfois un peu sage, un peu écrit, un peu sérieux.
On termine toutefois sur une note fantaisiste. L’espiègle John Taylor expose la mélodie de « Comment voulez-vous ? » (Jean Constantin), générique des Quatre cents coups de Truffaut, bientôt suivi par Antonin-Tri Hoang qui y superpose le générique du Mépris déjà cité. D’un générique à l’autre, de Constantin à Delerue, de Truffaut à Godard, de Taylor à Hoang, la boucle est bouclée.